Direction l'Hôtel du Grand Contrôle à Versailles où résidaient les ministres des Finances de Louis XVI, au XVIIIe siècle. C'est là que se joue le match entre Jacques Turgot et Jacques Necker, le libéral et l'interventionniste… Tous les deux hommes des Lumières et hommes d'Etat, ils tentent, chacun à leur manière, d'endiguer le risque de banqueroute que coure alors le royaume de France.
Mais en quoi ces deux hommes incarnent-ils l'esprit des Lumières ? Sur quel fond exactement porte leur désaccord en matière d'économie ? Et comment expliquer qu'aucune de leur réforme ne parviendra à éviter la crise économique, l'un des déclencheurs de la Révolution de 1789 ?
Émission "Entendez-vous l'éco ?", animée par Tiphaine de Rocquigny.
Supposez qu'un homme politique arrive au pouvoir et découvre la situation catastrophique des finances publiques. L'État est au bord de la banqueroute, incapable de rembourser ses créanciers. Cet homme n'est pas François Hollande mais un économiste brillant et partisan du "laissez faire, laissez passer !" des Physiocrates… Non, nous ne sommes pas en 2015 mais en 1774 et cet homme c'est Turgot, nommé ministre des finances par Louis XVI, en pleine crise de la dette. Que va-t-il faire ?
En deux ans, il va tailler dans les dépenses de la Maison du roi, engager des réformes audacieuses pour libérer l'économie des entraves administratives. Il ira même jusqu'à sermonner le roi en ces termes : "Il faut, Sire, vous armer contre votre bonté, de votre bonté même, considérer d'où vous vient cet argent que vous pouvez distribuer à vos courtisans".
Tout à la fois philosophe, économiste, et ministre d’État, Turgot est une personnalité d'une envergure considérable. Collaborateur de l'Encyclopédie, ami proche de Voltaire, correspondant régulier de Condorcet, membre, bien malgré lui, de la Physiocratie, Turgot brilla d'une lumière rare au sein de la sphère intellectuelle française de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Tour à tour intendant à Limoges, dans le Limousin, puis ministre sous Louis XVI, il a aussi laissé, comme administrateur, une trace incomparable.
Marion Sigaut, historienne spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles, intervient pour évoquer le lien existant entre l'endettement dramatique du Trésor royal, la montée du libéralisme et la Révolution.
Car c'est bien la question de l'usure (le prêt d'argent rémunéré), théoriquement interdit par l'Église catholique et par les rois de France jusqu'à la Révolution, qui sera l'une des grandes conquêtes de l'Encyclopédie et des Lumières et qui mettra à bas l'Ancien Régime.
L'idée de progrès, comme la pensée opératoire et les cultures et habitus techniques, se construisent et évoluent dans le temps. C'est à une réflexion sur cette historicité qu'invite cette série de cours.
Pour ce faire, Anne-Françoise Garçon, professeur des Universités et spécialiste d'histoire des techniques et d'histoire des entreprises, analyse la pensée créatrice des artisans, des ingénieurs et des penseurs qui élaborèrent lentement l'idée de progrès entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
L'influence de la doctrine libérale sur le monde comme il va, ses économistes, ses banquiers, ses gouvernements et ses politiques -ne dit-on pas d'une politique qu'elle est d'inspiration libérale ?- mais également son impact sur les modalités de la production et de la consommation, les manières de vivre qu'elle suppose ou impose, n'est plus à démontrer. Les libéraux habitent tous les continents, parlent toutes les langues, et participent quotidiennement à la promotion de leurs idées.
De ces idées nous nous demanderons si elles parviennent à assumer une histoire à la fois violente, sanglante et asservissante, tout autant qu'un essor lent puis fulgurant mais demeuré paradoxal. De quelque façon qu'on aborde cette question, il est temps, enfin, de revenir aux commencements du libéralisme pour l'interroger à nouveaux frais.
L’Histoire, telle qu’elle est enseignée dans nos écoles et relayée par nos médias, empêche de comprendre le monde actuel et de le saisir dans une critique globale. Une réécriture orientée dans le but de nous forcer à penser dans une seule direction : celle du progrès contre la tradition, de la raison contre l’esprit et de la liberté contre une supposée tyrannie. Combat contre la tyrannie qui nous amène, de façon bien plus certaine, à la "servitude volontaire".
Le travail de Marion Sigaut conduit à remettre en cause l’idée du progrès apporté par les Lumières, et particulièrement incarné dans la personne et l'oeuvre de Voltaire.
Elle montre au contraire que la secte des philosophes permit l’émergence du monde bourgeois et libéral opposé à une monarchie et un ordre chrétien qui, loin d’opprimer le peuple comme on veut aujourd’hui nous le faire accroire, étaient le rempart des faibles contre les puissants et la consolation des plus pauvres.
Les aventures de la petite phrase, droit naturel, demeurent encore largement méconnues, bien qu’elles suscitent un intérêt réel et récent.
Le travail de Brian Tierney (1997) a permis de mieux situer sa réapparition dans des formes toutes nouvelles, à l’époque tumultueuse des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, et d’en suivre la renaissance à la lumière de l’Ecole de Salamanque jusqu’aux débuts du XVIIe siècle.
Florence Gauthier nous propose de revenir sur l’histoire de ce concept de droit, et sur ses potentialités révolutionnaires.