La République est devenue un mantra du discours politique en France. Réduite à un universalisme de façade et à une laïcité entièrement falsifiée, elle n'est plus utilisée que pour dissimuler la réalité des fractures et pour tenter de combler le déficit croissant de légitimité auquel se heurte une régulation sociale qui laisse proliférer l'inégalité et précarise les existences.
On oublie ainsi le sens premier du projet républicain : créer une société qui soit la chose de tous, une société dont la légitimité tient à sa capacité à instituer et à entretenir entre les citoyens des rapports d'indépendance mutuelle et de non-domination. Mais à l'âge du capitalisme avancé cette égalité ne peut plus reposer seulement sur celle des droits personnels ; elle exige des droits sociaux solides et efficaces qui garantissent à chacun les bases d'une existence autonome : droit à la santé, à l'éducation, au logement, à un emploi et à un revenu décents.
À l'égalité des indépendances qui suppose la maîtrise des intérêts particuliers, les nouveaux intégristes substituent une forme imaginaire de subordination du privé au public : l'égalité abstraite devant la loi, l'aveuglement aux différences et aux formes de domination qui les accompagnent. Désormais, la définition culturelle de la République par l'effacement des différences identitaires remplace la définition sociale de la République. Cela revient à nier que, dans une société complexe, une telle égalité ne peut être atteinte que par la reconnaissance des obstacles spécifiques auxquels les individus sont confrontés.
Considéré comme l’intellectuel qui a inspiré toute la pensée réactionnaire, Louis de Bonald est réputé comme un penseur rétrograde et moralisateur. Né en 1754 et mort en 1840, on le dissocie rarement de son contemporain Joseph de Maistre (1753-1821). Louis de Bonald n'est pas seulement philosophe. Maire de Millau à l'aube de la Révolution, il suit une carrière politique active durant toute la première moitié du XIXe siècle et expose son analyse du monde qui va dans de nombreux journaux.
Était-il vraiment le nostalgique que l'on décrit ? De quelle monarchie souhaite-t-il le rétablissement ? Sa pensée est-elle plus philosophique qu'idéologique ? Comment le moraliste conjugue-t-il ses idéaux philosophiques et sa carrière politique ?
Émission "Grands entretiens", animée par Mari-Gwenn Carichon.
Philosophe sans système à l'influence protéiforme, Nietzsche a souvent été accusé d'avoir vu sa pensée être utilisée par les allemands pour nourrir leur impérialisme. On sait moins qu'il fut reçu et commenté dans le corpus du nationalisme français tant chez les élèves de Maurras et de Barrès que chez les renégats comme Drieu la Rochelle.
Pas ses travaux, Julien Dupré comble un vide historiographique et ouvre la voie à de nouvelles recherches pour comprendre le nationalisme français.
Et si la nature du populisme nous échappait encore ? L'actualité politique voit ce mot ressurgir régulièrement, mais, au-delà de sa charge polémique, que désigne-t-il exactement ?
Depuis trente ans, les médias ressassent les mêmes poncifs : le populisme serait démagogique et autoritaire ; ni de droite ni de gauche, mais essentiellement xénophobe et nationaliste ; il menacerait nos démocraties, comme jadis le totalitarisme. Ce qu'il s'agit, au fond, de faire via cette instrumentalisation quotidienne, c'est de discréditer l'idée d'une démocratie alternative, hors des institutions établies, et de dénier au peuple une capacité propre à faire de la politique.
Il convient donc de reconstruire ce concept fourre-tout sur de nouvelles bases. De le débarrasser des jugements normatifs, de cartographier ses expériences historiques fondatrices et de le rapporter au contexte politique qui l'a vu émerger comme phénomène à part entière, l'Amérique latine.
S'en dégage une découverte fondamentale : le populisme n'a rien à voir avec la démagogie, le nationalisme et le totalitarisme. C'est une idéologie, radicalement démocratique, de crise des démocraties représentatives libérales, qui possède ses propres logiques et contradictions internes.
L'enjeu de cette redéfinition est de taille : mieux comprendre les nouveaux conflits sociaux qui se saisissent de l'opposition peuple vs élite et sont en train de transformer profondément nos démocraties.
Émission "Les Oreilles loin du Front".
1_4 : Qu'est-ce que le libéralisme ? le concept de liberté libérale ? ses fondements et ses implications politiques ? Comment rompre avec cet imaginaire et pourquoi renouer avec la quête d'autonomie ?
Sous l'idéal d'émancipation comme arrachement à la nature, Aurélien Berlan décèle la vieille aspiration aristocratique à la délivrance : le désir de mener une vie déchargée des tâches pénibles de la vie quotidienne. Injustice sociale et désastre écologique apparaissent ainsi indissociables, puisque se délivrer des nécessités vitales implique à la fois l'exploitation des autres et celle de la nature.
2_4 : Quels fondements matériels à la liberté moderne ? son lien avec la notion de délivrance des autres ? avec quelles contradictions ? Pourquoi des courants politiques comme le marxisme embrassent la quête de liberté moderne ?
Travaillée par les changements structurels des sociétés modernes, la notion de liberté se voit de plus en plus comme délivrance des autres et des limites terrestres. L'industrialisation qui voit le jour en Angleterre se charge de répondre à ces aspirations de délivrance. On y retrouve alors des courants politiques antagonistes (capitalisme/marxisme) s'y référer pour mieux convaincre les masses qu'un nouveau monde advient. Ce discours n'est pas nouveau et puise dans les religions.
3_4 : La quête de délivrance est-elle partagée par tous à l'ère industrielle ? Quelle est la définition du progrès à cette époque ? Que signifie l'autonomie ?
Alors que la social-démocratie et le capitalisme épousent l'ère industrielle, la soustraction des nécessités matérielles de la vie semble être un horizon atteignable. Les forces productives et la technique seront le moteur de cette délivrance. Pour autant des dissensus font jour sur la possibilité d'être délivré des nécessités politiques. En opposition au déferlement industriel qui touche toutes les puissances européennes d'avant-guerre, on retrouve le développement des mouvements anarchistes, mais également nationalistes et volkisch en Allemagne. Leurs aspirations contradictoires et les guerres qui viennent finiront par brouiller la définition du mot "progrès".
4_4 : Quelles perspectives pratiques de la liberté en tant que quête d'autonomie ? Ses relations avec l'écoféminisme ? Quelle relation entre autonomie et accès à la terre ?
Il est tentant de percevoir l'autonomie comme un appel à se soumettre à la nécessité, réactivant la quête d'un salut jusqu'alors défendu par les religions. Aurélien Berlan, nous rappelle que l'autonomie est avant tout une manière de subvenir à ses propres besoins collectifs comme individuels. La liberté est alors un choix sur les réponses matérielles à apporter à un besoin. C'est une stratégie pour échapper aux pouvoirs structurels et impersonnels de l’époque moderne (salariat, société de consommation, médias de masse). Le libre accès à la terre est une condition à cette liberté puisqu'elle est la seule à fournir les ressources matérielles accessibles aux groupes humains qui l'habitent. Cette idée de la liberté renoue avec des luttes paysannes, féministes et populaires d'hier et aujourd'hui.
Au fil des siècles, de nombreux courants de pensée ont façonné notre conception du monde et notre manière d'appréhender l'existence : Qu'est-ce que la vérité ? Comment peut-on vivre heureux ? Dieu existe-t-il ? Quel est le sens de notre vie ?
Bien loin du jargon des spécialistes, le professeur de philosophie Charles Robin nous rend accessible les œuvres des plus grands philosophes afin d'en faciliter la compréhension et, pourquoi pas, de nous faire changer le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur le monde.
Une initiation sérieuse à une discipline souvent difficile d'accès, dans un langage clair et une atmosphère détendue.
En partant de l'état du monde, Alain Policar fait du cosmopolitisme une figure contemporaine d'une théorie de la justice globale. Celle-ci suppose un renouvellement du concept de citoyenneté qui conduit à reconnaître au citoyen des droits liés à son appartenance au monde. Il fait du souci moral à l'égard des autres, constitutif du cosmopolitisme moral, une valeur intrinsèque et suggère que l'attachement au bien commun est ancré dans notre condition. Alain Policar cherche donc à lier anthropologie et politique en examinant ce qu'implique l'idée de nature appliquée à l'homme.
Le cosmopolitisme ainsi conçu implique-t-il de renoncer à nos fidélités singulières ? Non, à condition d'adopter sur nos identités collectives un point de vue radicalement critique. Il termine l'exposé en précisant dans quel sens on peut comprendre un cosmopolitisme politique, défini comme un cosmopolitisme de l'accueil, construit autour de la figure de l'étranger, et faisant de l'hospitalité une partie du patrimoine moral de l'humanité.
Ce cours marque un tournant dans le développement de la recherche de Michel Foucault. Partant du problème du bio-pouvoir, introduit à la fin du séminaire Il faut défendre la société il se propose d'étudier la mise en place, au XVIIIe siècle, de cette nouvelle technologie de pouvoir, distincte des mécanismes disciplinaires, qui a pour objet la population et entreprend de la gérer à partir de la connaissance de ses régularités spécifiques. Technologie de sécurité indissociable – telle est la thèse originale que formule ce cours – du libéralisme comme rationalité gouvernementale fondée sur le principe du "laisser faire".
Cette analyse fait apparaître l'importance de la notion de "gouvernement". C'est pourquoi Michel Foucault choisit rapidement de resituer sa problématique dans le cadre d'une histoire de la "gouvernementalité". Coup de théâtre théorique, par lequel il déplace soudain l'horizon du cours : non plus l'histoire des dispositifs de sécurité, qui passe provisoirement au second plan, mais la généalogie de l'État moderne, à travers les procédures mises en œuvre, en Occident, pour assurer le "gouvernement des hommes".
Deux moments essentiels sont alors étudiés : l'invention tout d'abord, par le christianisme, d'un nouveau type de pouvoir, étranger à la tradition gréco-romaine, prenant en charge les hommes pour les conduire individuellement vers leur salut ; la formation, ensuite, d'une "gouvernementalité" politique, aux XVIe-XVIIe siècles, qui inscrit la conduite des individus dans l'exercice du pouvoir souverain.
Du pastorat chrétien au gouvernement selon la raison d'État, c'est ainsi la double face, individualisante et totalisante, de la rationalité politique dont procède l'État moderne qui se trouve dévoilée. Il devient possible, à partir de là d'analyser le statut de la liberté au sein de la gouvernementalité libérale née au XVIIIe siècle.