La détection algorithmique des relations subtiles, évolutives en "temps réel" entre des données numériques disparates disponibles en quantité massive produit un tout nouveau type de modélisation, exploitable dans une multitude de domaines comme le marketing, la prévention des délits et des crimes, l'optimisation du déploiement des forces de l'ordre ou la détection anticipative des foyers épidémiques.
Ces nouvelles pratiques de détection, de classification et d'évaluation anticipative constituent de nouveaux modes de production du "savoir", de nouvelles modalités d'exercice du "pouvoir", et de nouveaux modes de "subjectivation", bref, une nouvelle gouvernementalité algorithmique, succédant, en quelque sorte, sans pour autant les remplacer complètement, aux régimes de pouvoir - souveraineté (droit de laisser vivre et de faire mourir), régime disciplinaire (réforme des psychismes individuels par intériorisation des normes, que les individus disciplines "incarnent" d'eux-même) et biopouvoir (droit de faire vivre ou de laisser mourir) - mis en lumière par Michel Foucault.
Les humains ne sont pas des robots. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Et pourtant, on peut utiliser des nombres pour comprendre les comportements humains. Ceci, dans les domaines les plus divers, qu'il s'agisse des intentions de ventes, du taux de criminalité, ou de la propagation des épidémies.
Peut-on dès lors en déduire des lois qui permettent des prédictions ? Et de là, en tirer des décisions politiques ? Certains scientifiques le pensent.
Les mathématiques sont parfois utiles, mais où commence leur usage abusif ? Peut-on mettre l'humanité dans un logiciel informatique ? La société se laisse-t-elle mettre en équations ?
Émission "Autour de la question".
C’est le propre de toute société que d'essayer de légitimer son propre ordre social afin d'assurer sa pérennité. En Occident, ce sont longtemps les dieux qui ont servi à légitimer les pouvoirs en place, jusqu'aux guerres de religion où il est apparu que la référence à Dieu n'était plus capable de fonder l'autorité politique. C'est alors la science qui a pris la relève.
Mais si les sciences naturelles sont clairement définies, il est loin d'en être pareil pour les sciences sociales. Depuis Galilée, la science moderne est censée prouver sa propre légitimité en construisant des expériences qui répondent à trois critères : être à la fois enregistrables, reproductibles, et résulter d’une seule cause. Ils sont apparemment bien difficiles à atteindre dans le domaine des sciences sociales...
Émission "Matières à penser", animée par Serge Tisseron.
La question se pose depuis la naissance des sciences sociales : peut-on enfermer les comportements humains dans des formules mathématiques ? Parce qu’il répondait résolument par la négative, Auguste Comte avait forgé le terme de "sociologie" pour l'opposer à la "physique sociale" du statisticien Adolphe Quételet. Dans son ouvrage Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équations, Pablo Jensen, physicien féru de sciences sociales, ouvre à nouveau le dossier.
Les économistes, les démographes, les sociologues, les politistes..., constate-t-il, sont tentés par la modélisation mathématique. Pour expliquer la croissance économique, la ségrégation urbaine ou encore les comportements politiques, ils utilisent des fictions raisonnées et ont recours à la simulation informatique. Aujourd'hui, certains spécialistes estiment même que, grâce aux big datas, le comportement humain serait prévisible à 93 %.
Pour montrer qu'en réalité nous sommes encore loin d'un tel résultat, Pablo Jensen ouvre la boîte noire des modélisateurs pour nous montrer à quel point la théorie est bien loin de la réalité des pratiques sociales. Certes, les modèles sont utiles mais les résultats de telles modélisations peuvent se révéler dangereux quand on commence à confondre le modèle avec la réalité sociale qui, elle, est plus imprévisible.
Une belle leçon de science et de modestie qui rappelle que le gouvernement des hommes doit être une affaire de délibération politique et non de calcul rationnel.
Un entretien mené par Vincent Debierre.
Après s'être d'abord intéressée au potentiel "prédictif" des tests de dépistage et de diagnostic génétiques et ses implications en termes d'égalités, d'opportunités sur les marchés de l'emploi et de l'assurance ainsi que dans les débats relatifs à l’État providence aux États-Unis et en Europe, Antoinette Rouvroy a commencé à s'intéresser aux implications juridiques, politiques et philosophiques des nouvelles pratiques statistiques nourries par les données numériques disponibles en quantités massives (les big data).
Elle s'est alors rendue compte que ces nouvelles pratiques de détection, de classification et d'évaluation anticipative des propensions et comportements humains fondées sur les techniques du numérique constituaient de nouveaux modes de production du "savoir", de nouvelles modalités d'exercice du "pouvoir", et de nouveaux modes de "subjectivation", bref, une nouvelle gouvernementalité algorithmique, succédant, en quelque sorte, sans pour autant les remplacer complètement, aux régimes de pouvoir - souveraineté (droit de laisser vivre et de faire mourir), régime disciplinaire (réforme des psychismes individuels par intériorisation des normes, que les individus disciplines "incarnent" d'eux-même) et biopouvoir (droit de faire vivre ou de laisser mourir) - mis en lumière par Michel Foucault.
C'est en compagnie de Bertrand Louart, menuisier-ébeniste anti-industriel, qu'on procède ici à une critique raisonnable du scientisme et de ses contre-vérités, des prétentions réalistes, totalitaires et hégémoniques du mode de connaissance scientifique et de l'idéologie d'une "science pure" déconnectée de ses applications technologiques et du capitalisme, à l'occasion des 30 ans de l'explosion de Tchernobyl et des 5 ans de Fukushima.
Émission "Sortir du capitalisme".
Parce que la science se comprend comme le fruit d'un débat public et d'expériences controlées, et parce qu'elle se veut également méthodique - elle tient tout entière dans la démarche qu'elle met en œuvre pour forger son questionnement -, elle est aussi en constant renouvellement.
Etienne Klein, physicien, professeur à l'Ecole centrale à Paris et directeur du laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au Commissariat d'Energie Atomique, docteur en philosophie des sciences, est tout indiqué pour nous exposer les conquêtes récentes et les problématiques de la physique contemporaine.
C'est une démarche de vulgarisation qui fait entrer en résonance physique et philosophie à vocation populaire parce que l'exercice de la raison qui nous est demandé s'adresse à tous.
Ces "cours méthodiques et populaires" doivent donc permettre à un large public de se familiariser avec la physique, ses grands noms et ses thématiques incontournables.
L'économie, si on fait l'analogie avec l'astronomie, attend toujours sa révolution copernicienne. Car les économistes sont toujours persuadés que le soleil tourne autour de la terre sans qu'aucune comète ne puisse jamais la heurter. Or, nous savons aujourd'hui que les impacts de comètes ne sont pas rares, tout comme les crises financières dans le capitalisme. Pourtant, la théorie économique dominante n'en fait aucune mention.
Steve Keen, l'un des rares économistes au monde à avoir perçu l'imminence de la crise des subprimes, propose une critique radicale de l'argumentaire néoclassique des économistes. Son constat est sans appel : si les économistes continuent de délaisser des éléments aussi importants que la monnaie ou la dette, alors ils ne pourront pas empêcher l'émergence d'autres crises économiques. Pour Steve Keen, le problème fondamental des économistes mainstream est qu'ils ignorent les failles de leurs propres théories et cherchent encore moins à y remédier lorsque celles-ci apparaissent au grand jour. Il interroge les fondements de l'économie dominante pour mieux les déconstruire, à l'image de la célèbre loi de l’offre et de la demande. Steve Keen pose ainsi les bases d'une nouvelle manière de penser l'économie. Une discipline qui doit selon lui être plus ouverte sur les autres écoles de pensée, mais aussi sur les autres sciences, souvent riches d'enseignements.