Si le purgatoire est "né" au Moyen Âge, il n'a jamais été aussi populaire qu'au XIXe siècle. Comment expliquer ce phénomène qui fit de la dévotion aux âmes du purgatoire l'une des pratiques les plus répandues de l'Europe catholique ?
Aux sources de cette renaissance, on trouve la force du "culte des morts", la nécessité de répondre aux revendications affectives des fidèles et au discrédit massif de l'enfer, enfin la volonté de l'Église de contrecarrer l'expansion du spiritisme. On a beaucoup insisté alors sur le rôle d'intercesseur des âmes du purgatoire, sur la sollicitude à l'égard des "âmes délaissées", car sans famille ici-bas ou trop pauvres pour payer des messes.
Or, au début du XXe siècle, au terme de cette ultime phase de prospérité, le purgatoire s'efface peu à peu des consciences et des représentations. À l'origine de cette révolution des mentalités : la Grande Guerre, et ses millions de disparus.
Émission "Les Racines du ciel", animée par Frédéric Lenoir.
La France s'est longtemps définie comme la fille aînée de l'Église. Dans la République laïque, le catholicisme est resté majoritaire jusqu'à la fin des années 50. Conjointement une foi mais aussi une pratique, le catholicisme portait notamment la sanctification des fêtes, la messe dominicale, la confession annuelle et le respect des règles de jeûne.
En quelques décennies, la pratique s'est si spectaculairement évaporée que l'historien Guillaume Cuchet se demande si le catholicisme a encore de l'avenir en France !
L'hypothèse de sa disparition n'est donc plus aberrante mais plausible ; qu'est-il arrivé pour qu'une telle question se pose aujourd'hui ?
Émission "Répliques", animée par Alain Finkielkraut.
Enseignant en histoire de l'Église contemporaine, Guillaume Cuchet pose la question de l'avenir du catholicisme en scrutant l'évolution des baby-boomers, cette génération qui a peu à peu décroché de la pratique religieuse traditionnelle en créant une rupture dans la transmission. Il souligne également le nouveau rapport au spirituel et la montée des sans-religions dans notre société actuelle.
C'est finalement le devenir minoritaire du catholicisme en France et les problèmes identitaires que cela pose qui sont interrogés.
La déchristianisation galopante que l'on connaît depuis les années 60 est-elle inexorable ?
L'oeuvre de l'historien Jean Delumeau (1923-2020) a une place de choix dans l'historiographie récente. C'est en compagnie de la professeure d'histoire moderne Isabelle Poutrin et du professeur d'histoire contemporaine Guillaume Cuchet que nous revenons sur le parcours, les productions et l'héritage de ce grand historien catholique français, spécialiste des mentalités religieuses en Occident, et plus particulièrement du christianisme.
- 00'00 : Introduction
- 01'00 : La place majeure tenue par Jean Delumeau dans l'historiographie
- 04'00 : Un parcours universitaire qui conduit à Rome et à l'histoire moderne
- 06'00 : À l’origine, loi du religieux, un historien de l’économie et de la société, sur les lancées de Fernand Braudel
- 08'00 : Extrait : Jean Delumeau et l’alun de Rome
- 11'30 : Un historien des grands mouvements et de la longue durée
- 13'00 : Extrait : le choix d'écrire un volume de la Nouvelle Clio sur la Réforme
- 15'00 : Un historien soucieux d'œcuménisme
- 16'00 : Jean Delumeau participant de la construction d'une légitimité de l'histoire religieuse, longtemps marginale ou cléricale
- 18'00 : Un historien des "mentalités"
- 21'00 : Un talent du texte et de la citation
- 25'00 : Comment articuler l'histoire des croyances, et celles des pratiques sociales ?
- 27'30 : Une carrière singulière, au Collège de France, avec des enquêtes collectives
- 28'30 : Extrait : la peur en occident (introduction de la 2e partie)
- 31'00 : Un historien de la peur, mais pas seulement, en lien dialectique avec une dimension rassurante de l'Église et du paradis
- 33'00 : Des prolongements aux idées de Delumeau, sur le "contexte panique" du XVIe siècle, chez Denis Crouzet ou Caroline Callard
- 34'00 : Jean Delumeau, essayiste catholique, aux prises avec la "déchristianisation"
- 37'00 : Les liens entre passé et présent dans son œuvre, et la question du degré de christianisation du Moyen âge
- 39'00 : Les critiques adressées par Jean Delumeau à l'Église et à son rigorisme
- 42'00 : Une (légère) ouverture à l'histoire des femmes
- 44'00 : Un livre collectif questionnant L'historien et la foi (1996)
- 45'15 : Quelle postérité ?
- 48'00 : Par quel livre commencer ?
Le XIXe siècle a-t-il été ce fameux temps de déclin religieux ? Le rationalisme y triomphait-il autant qu'on l'a dit ? Le positivisme y régnait-il en maître ?
Guillaume Cuchet démontre que le XIXe siècle a été une époque d'intenses ferveurs religieuses, à la mesure des bouleversements politiques qu'il a connus, aussi bien à l'intérieur des cultes existants, comme le catholicisme, qu'en dehors. Tout un New Age précoce de croyances et de pratiques hétérodoxes a rencontré un grand succès, notamment dans les rangs d'une gauche loin d'être entièrement sécularisée. Apparitions mariales, contestation de l'enfer, renouveau du purgatoire, nouvelles conceptions du paradis, culte de la tombe et des morts, définition de nouveaux dogmes comme l'Immaculée Conception ou l'Infaillibilité pontificale, succès des "philosophies religieuses", vogue des tables tournantes et du spiritisme, essor de la piété "ultramontaine", sont autant de manifestations de cette effervescence.
À travers toutes ces pratiques pour le moins surprenantes se dessine le visage d'un autre XIXe siècle, plus intime et plus complexe, dans lequel croyants et incroyants se ressemblent souvent, là même, parfois, où ils s'opposent le plus.
Émission du "Libre journal de chrétienté", animé par l'Abbé Guillaume de Tanoüarn.
Le purgatoire, disons-le tout net, est en mauvaise forme. Sur la Toile, les sites du catholicisme traditionaliste multiplient leurs reproches à ce sujet envers le pape François. Ils l'accusent de le laisser doucement s'effacer, de ne le mentionner quasiment jamais, tout en semblant simultanément réticent envers la pratique des indulgences dont il a, comme souverain pontife, la maîtrise et qui permettrait d'abréger le séjour des âmes dans cet état intermédiaire entre enfer et paradis.
On ne peut qu'être intrigué par cette quasi-disparition qui aurait tant surpris nos ancêtres, pour qui le purgatoire figurait en bonne place dans la catéchèse et, plus largement, dans la vulgate de la culture chrétienne.
Une manière féconde d'interpréter cela peut être de considérer la chose dans la longue durée, à partir d'une constatation primordiale : la grande prospérité du purgatoire, si l'on peut dire, ne date que des débuts du second millénaire après le Christ. Il n'a pas son fondement dans les Écritures Saintes et il a connu, de siècle en siècle, des fortunes fort inégales, parfois promu comme essentiel et parfois refoulé loin du cœur de la foi, éprouvé et répandu.
Voilà un beau sujet de curiosité sur lequel l'historien Guillaume Cuchet pourra nous être d'un grand secours.
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.
Le recul du catholicisme en France depuis les années 1960 est un des faits les plus marquants et pourtant les moins expliqués de notre histoire contemporaine. S'il reste la première religion des Français, le changement est spectaculaire : au milieu des années 1960, 94 % de la génération en France étaient baptisés et 25 % allaient à la messe tous les dimanches ; de nos jours, la pratique dominicale tourne autour de 2 % et les baptisés avant l'âge de 7 ans ne sont plus que 30 %. Comment a-t-on pu en arriver là ?
Au seuil des années 1960 encore, le chanoine Boulard, qui était dans l'Église le grand spécialiste de ces questions, avait conclu à la stabilité globale des taux dans la longue durée. Or, au moment même où prévalaient ces conclusions rassurantes et où s'achevait cette vaste entreprise de modernisation de la religion que fut le concile Vatican II (1962-1965), il a commencé à voir remonter des diocèses, avec une insistance croissante, la rumeur inquiétante du plongeon des courbes.
Guillaume Cuchet a repris l'ensemble du dossier : il propose l'une des premières analyses de sociologie historique approfondie de cette grande rupture religieuse, identifie le rôle déclencheur de Vatican II dans ces évolutions et les situe dans le temps long de la déchristianisation et dans le contexte des évolutions démographiques, sociales et culturelles des décennies d'après-guerre.
Émission "Midi Magazine", animée par Michelle Gaillard.
Le recul du catholicisme en France depuis les années 1960 est un des faits les plus marquants et pourtant les moins expliqués de notre histoire contemporaine. S'il reste la première religion des Français, le changement est spectaculaire : au milieu des années 1960, 94 % de la génération en France étaient baptisés et 25 % allaient à la messe tous les dimanches ; de nos jours, la pratique dominicale tourne autour de 2 % et les baptisés avant l'âge de 7 ans ne sont plus que 30 %. Comment a-t-on pu en arriver là ?
Au seuil des années 1960 encore, le chanoine Boulard, qui était dans l'Église le grand spécialiste de ces questions, avait conclu à la stabilité globale des taux dans la longue durée. Or, au moment même où prévalaient ces conclusions rassurantes et où s'achevait cette vaste entreprise de modernisation de la religion que fut le concile Vatican II (1962-1965), il a commencé à voir remonter des diocèses, avec une insistance croissante, la rumeur inquiétante du plongeon des courbes.
Guillaume Cuchet a repris l'ensemble du dossier : il propose l'une des premières analyses de sociologie historique approfondie de cette grande rupture religieuse, identifie le rôle déclencheur de Vatican II dans ces évolutions et les situe dans le temps long de la déchristianisation et dans le contexte des évolutions démographiques, sociales et culturelles des décennies d'après-guerre.