Jean-Jacques Pauvert, un obsédé textuel (1926-2014). Avec Jean Castelli, Chantal Aubry, Corinne Pauvert, Frédéric Martin et Raphaël Lefeuvre sur France Culture.


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16.03.2019

"J'étais l'Arsène Lupin de l'édition. Je voulais échapper à toutes les étiquettes". De fait, Jean-Jacques Pauvert reste inclassable, tout comme son personnage fétiche, le gentleman cambrioleur qui se déguisait pour avoir une multitude de vies différentes. L'homme n'est jamais là où on l'attend : véritable cancre à l'école, il devient le plus jeune éditeur de France. Il passe pour fou et irresponsable en publiant tout Sade, un demi-siècle plus tard le divin marquis sera à la Pléiade. On tente de l'enfermer dans la littérature érotique, il publie intégralement le dictionnaire du Littré en 7 volumes. Car Jean-Jacques Pauvert est avant tout un amoureux de la grande littérature.
Son catalogue d'éditeur réunit aussi bien la poésie complète de Victor Hugo, L'Histoire de l'art d'Elie Faure en 3 volumes, les Surréalistes, Georges Bataille, Dominique Aury, que la comtesse de Ségur, Raymond Roussel, Siné ou Kenneth Anger. Insaisissable Pauvert… Qualifié à sa mort en 2014 de "grand fauve de l'édition", l'homme fonctionne à l'instinct. En 1942, il quitte l’école à l'âge de 15 ans. Son père, journaliste, le fait entrer chez Gallimard où il devient apprenti vendeur à la librairie. En parallèle, pendant le restant de la guerre, il fait du trafic de livres rares, avec un épisode de 3 mois en prison pour soupçon de résistance.
Tout en apprenant son métier, il dévore les livres qui lui passe sous la main ou qui se passent sous le manteau : "le choc, l'ébranlement majeur de ma jeune existence littéraire" c'est la lecture du Con d'Irène, puis Histoire de l'œil de Georges Bataille et Les 120 journées de Sodome de Sade. Curieux, ayant le contact facile, le jeune apprenti circule dans la maison ancestrale, frappe à tous les bureaux, celui de Raymond Queneau, d'Albert Camus, de Jean Paulhan, se lie d'amitié avec ces hommes. A 20 ans, il annonce qu'il va publier les œuvres intégrales de Sade. Ce qu'il fera dès 1947 sous son propre nom alors qu'à l'époque, le marquis figure au rang des auteurs indisponibles tout en étant le principal sujet de conversation du milieu littéraire. Paulhan le premier, le citant à tout bout de champ. "Son nom circulait dans les couloirs de la NRF comme un furet" dira Jean-Jacques Pauvert.
La suite on la connaît : pendant 11 ans, une longue suite de convocations à la brigade mondaine, de perquisitions, de procès à répétition, maître Garçon de l'Académie française pour le défendre, la destitution de ses droits civiques, jusqu'à ce qu'il obtienne gain de cause en 1958 : "Sade est un écrivain digne de ce nom" déclare le tribunal. Mais Pauvert c'est aussi un fait d'arme retentissant dans le monde littéraire : la parution d'Histoire d'O, livre érotique que Jean Paulhan lui confie en 1954, suivie de procès retentissants pour atteinte aux bonnes mœurs. Cinq ans plus tard, il sera déclaré non-coupable. Ce n'est pas pour autant que la censure cessera. Pauvert bataillera toute sa vie contre elle, devenant l'incarnation de l'éditeur indépendant, un enragé anticonformiste de la littérature. Une aventure personnelle qui s'arrêtera en 1979, année où sa maison d'édition fut rachetée par Hachette mais qui ne l'empêchera pas pour autant de continuer à publier ailleurs et à écrire.

Émission "Une vie, une oeuvre", produite par Céline du Chéné et Laurent Paulré.