Et si notre "conscience environnementale" planétaire contemporaine n'était pas si nouvelle que cela ? Et si ignorer les réflexivités environnementales des sociétés du passé nous pénalisait pour envisager l’avenir des bouleversements planétaires en cours ?
Depuis un demi-millénaire, la définition des richesses, des équilibres et des limites de la Terre, de son "bon usage", durable et rationnel, est un enjeu de pouvoir. Plutôt qu'un récit de "prise de conscience" progressive des altérations causées à la planète Terre, de récents travaux d'histoire environnementale ont mis en lumière l'ancienneté – et l'historicité – des réflexivités environnementales.
A mesure que l'Europe étendait son empire sur le monde, ses élites religieuses, politiques, économiques et savantes ont forgé des discours et des savoirs d'un "bon usage" de la Terre entière. Un seul exemple : de Christophe Colomb au Comte de Buffon, une théorie du changement climatique à grande échelle a participé à la légitimation du projet de prise de possession européenne de l'Amérique.
Après avoir esquissé les enjeux d'une telle histoire de la constitution de la Terre entière comme objet de savoir et de pouvoir, la communication de Christophe Bonneuil met l'accent sur un moment particulier de ce géopouvoir, celui de l' "âge des empires" de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle.
Une communication qui s'inscrit dans le cadre des conférences "Comprendre et Agir", organisées par l'équipe de recherche STEEP.
Idée reçue : la crise environnementale actuelle serait le fruit d'une longue inconscience. On ignorait, en gros, le mal que l'on faisait. Idée fausse, selon le chercheur Jean-Baptiste Fressoz : il s'agit là d'une illusion d'optique ou d'une amnésie.
Historien des techniques et de l'environnement, Jean-Baptiste Fressoz nous restitue l'histoire politique de la crise écologique en reconstituant le jeu des forces sociales qui ont fait basculer notre planète dans une nouvelle ère géologique, l'anthropocène, terme désignant une nouvelle époque géologique marquée par l'impact massif des activités humaines sur la planète.
Les scientifiques nous l'annoncent, la Terre est entrée dans une nouvelle époque. Bien plus qu'une crise environnementale, l'Anthropocène signale une bifurcation de la trajectoire géologique de la Terre. Une bifurcation causée non pas par l' "Homme" en général, mais par le modèle de développement qui s'est affirmé puis globalisé depuis la "révolution" industrielle.
Historien des sciences, Christophe Bonneuil questionne ce concept et les enjeux pour la planète et pour la condition humaine.
Car si l'Anthropocène est le signe de notre puissance, il est aussi et surtout celui de notre impuissance. Habiter de façon plus sobre, plus équitable et moins barbare la Terre est l'enjeu de demain. Au-delà des fausses solutions marchandes et high-tech prétendant "sauver la planète", des pistes citoyennes sont à inventer et à mettre en pratique.
L’industrialisation du vivant en agriculture date du XIXe siècle, siècle positiviste, résolument confiant dans les techno-sciences et les promesses de maitrise qu’elles comportaient. On y retrouve la première intervention de biologiste sur les levures de bières pour les standardiser et uniformiser les produits. Le développement des colonies a également été moteur de premiers essais de mécanisation, dont les logiques seront ensuite rapatriées en métropole.
Face à ce mouvement, des organisations néoluddites tentent de développer une autre technique. C’est le mouvement de l’agriculture biologique avec son rapport différent au sol et au vivant. C’est le mouvement des semences paysannes, qui refuse la simplification et le contrôle génétique par les industries. C’est enfin l'Atelier Paysan et son travail sur la souveraineté technologique des paysans, qui permet de s’autonomiser en se réappropriant collectivement des savoirs autour de l'outil de travail des fermes.
Les scientifiques nous l’annoncent, la Terre est entrée dans une nouvelle époque. Bien plus qu’une crise environnementale, l’Anthropocène signale une bifurcation de la trajectoire géologique de la Terre.
Habiter de façon plus sobre, plus équitable et moins barbare la Terre est l’enjeu de demain. L'Anthropocène, littéralement "nouvel âge de l’Homme", est le signe de notre puissance, mais aussi de notre impuissance.
Il ouvre une nouvelle condition humaine et balaye bien des ontologies et certitudes de la modernité. Est-ce la fin du progrès ?
Nous sommes entrés dans "l’Anthropocène", nous serions collectivement, en tant qu’espèce humaine, responsables du dérèglement climatique, d’une extinction massive des espèces, d’une déforestation tropicale et d’une destruction des environnements sans précédents, d’une pollution et d’une érosion historiquement inédites.
Peut-on vraiment incriminer un Anthropos indifférencié, une espèce complète, et en appeler à un "bon Anthropocène" techno-scientifique et à un capitalisme "vert" ?
Et s’il s’agissait plutôt, comme l’affirment Andreas Malm, Jason Moore, John Bellamy Foster et des auteurs issus du courant dit de "critique de la valeur", d’un Capitalocène, d’une dynamique socio-historiquement spécifique aux conséquences écologiques également spécifiques, celle du capitalisme, et appelant donc à une sortie conjointe de "l’Anthropocène" et du capitalisme ?
C’est cette hypothèse que développeront Christophe Bonneuil, Anselm Jappe et Armel Campagne.