Figure singulière, unique de la biologie du XXe siècle, directeur de l'Institut de Zoologie de Bâle, Adolf Portmann (1897-1982) se penche sur le déploiement des formes animales. Taches, marbrures, zébrures du pelage des mammifères, variété des plumages, ocelles des papillons, détail d'un duvet qui forme dessin quand l'oiseau prend son vol, port de tête, partout beauté, minutie... Ce qui est écarté comme secondaire, décoratif par le discours dominant de la science est au contraire riche de sens !
Les animaux n'existent pas seulement objectivement, ils se montrent les uns aux autres, ils apparaissent et c'est une fonction fondamentale du vivant.
Merleau-Ponty saluant La Forme animale, ce grand livre, écrit : "La vie, ce n'est pas suivant la définition de Bichat, l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort, mais c'est une puissance d'inventer du visible."
Un entretien mené par Fabrice Hadjadj.
La modernité a divisé les animaux entre ceux qui sont dignes d'être protégés et aimés et ceux qui servent de matière première à l'industrie. Comment comprendre cette étrange partition entre amour protecteur et exploitation intensive ? Parce qu'elle précède cette alternative et continue de la troubler, la chasse offre un point d'observation exceptionnel pour interroger nos rapports contradictoires au vivant en pleine crise écologique.
À partir d'une enquête immersive menée deux années durant, non loin de Paris, aux confins du Perche, de la Beauce et des Yvelines, Charles Stépanoff documente l'érosion accélérée de la biodiversité rurale, l'éthique de ceux qui tuent pour se nourrir, les îlots de résistance aux politiques de modernisation, ainsi que les combats récents opposant militants animalistes et adeptes de la chasse à courre.
Explorant les cosmologies populaires anciennes et les rituels néosauvages honorant le gibier, l'anthropologue fait apparaître la figure du "prédateur empathique" et les rapports paradoxaux entre chasse, protection et compassion. Dans une approche comparative de grande ampleur, il convoque préhistoire, histoire, philosophie et ethnologie des peuples chasseurs et dévoile les origines sauvages de la souveraineté politique.
Au fil d'une riche traversée, Charles Stépanoff éclaire d'un jour nouveau les fondements anthropologiques et écologiques de la violence exercée sur le vivant. Et, en questionnant la hiérarchie morale singulière qu'elle engendre aujourd'hui, il donne à notre regard sensible une autre profondeur de champ.
Si depuis les débuts de leur domestication les animaux n'ont cessé de travaillé au service des humains, les formes et l'ampleur de ce travail ont beaucoup varié selon les époques.
En Europe, le nombre de chevaux, de chiens, de bœufs, de mulets utilisés pour tirer et soulever des charges, ou pour transformer des matières, s'est beaucoup accru aux XVIIIe et XIXe siècle avant de décliner sous l'effet de la motorisation et de l'électrification au siècle suivant. Massivement utilisés pour accélérer les transports, ils furent aussi une source majeure de force motrice, souple et flexible, adaptée à de nombreux contextes et situations de travail : dans les mines et les premières usines textiles, dans les plantations coloniales comme dans de nombreux ateliers artisanaux, ils furent attachés à des manèges pour produire de la force, broyer des matières.
Loin de les faire disparaître, l'industrialisation européenne a intensifié leur mise au travail, démultiplié leur présence dans les ateliers, à côté des enfants, des femmes et des ouvriers. Ces "moteurs animés" constituent un chaînon manquant et oublié de l'industrialisation et des transformations sociales du XIXe siècle. Le travail des bêtes s'est transformé parallèlement à celui des hommes, dans une logique de coopération et de rivalité, avant de devenir une source de rejets, de débats, voire de scandales.
Si l'on veut enrayer la catastrophe écologique en cours, il va falloir, nous dit-on, changer de fond en comble nos relations à la nature, aux milieux de vie ou encore aux vivants non-humains. Mais qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Dans quels projets de société cette nécessaire transformation peut-elle s'inscrire ? Et quels sont les leviers d'action pour la faire advenir ?
En puisant son inspiration dans les données anthropologiques, les luttes territoriales et les combats autochtones, l'effort conjoint de Philippe Descola et Alessandro Pignocchi esquisse la perspective d'une société hybride qui verrait s'articuler des structures étatiques et des territoires autonomes dans un foisonnement hétérogène de modes d'organisation sociale, de manières d'habiter et de cohabiter.
Selon un sondage IPSOS de 2017, seuls 19 % des Français sont favorables à la chasse, tandis que la grande majorité la juge dangereuse, cruelle pour les animaux et d'un autre âge. Pourquoi la chasse perdure-t-elle ? Qui sont les chasseurs ?
Dans un contexte de crise de la biodiversité, la chasse est-elle un point d'observation pour interroger nos rapports contradictoires au vivant ? Les premières enquêtes de Charles Stepanoff ont porté sur le chamanisme à Touva en Sibérie méridionale puis ses travaux se sont ensuite étendus aux rapports à l'environnement à travers la chasse et l'élevage chez les populations de la taïga. À partir de ces enquêtes, il étudie les multiples façons dont les humains établissent des liens et communiquent avec des êtres non humains : divinités, esprits, plantes ou animaux.
Depuis 2018, il mène des enquêtes ethnographiques sur les relations aux animaux sauvages et domestiques dans le contexte de la chasse et de l'élevage en France. Il vient de publier L'animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage dans lequel il déploie une véritable ethnographie de la chasse rurale. Une enquête d'immersion qui l'a mené aux confins du Perche, de la Beauce et des Yvelines auprès d'habitants locaux pratiquant des modes de chasse qu'ils présentent eux‑mêmes comme "paysans" ou appartenant à des équipages de chasse à courre, mais aussi auprès de militants hostiles à la chasse.
Émission "La Terre au carré", animée par Mathieu Vidard.
Nous en choyons - nourrissons, castrons, enfermons - certaines, à jamais enfants de nos foyers. Nous en mangeons et exploitons d’autres, tuées et dépecées le plus souvent en masse et loin de nos regards, entre autres pour nourrir les premières. Notre relation aux bêtes et nos sensibilités à leur égard sont un summum de contradictions et de problèmes éthiques dont une féroce division du travail peine à nous sauver.
La chasse avec toutes les controverses qu'elle suscite est un des lieux les plus vifs pour penser ce mélange d'affects et d'élans qui nous traversent, nous laissant bien peu tranquilles quand il s'agit de repenser notre place parmi les vivants.
Charles Stépanoff, anthropologue et auteur du récent L'animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage, nous permet d'explorer ces territoires.
Le monde n'existerait pas pour nous si nous n'avions pas à notre disposition des noms, des verbes et des pronoms qui nous permettent de formuler les trois grandes questions qui agitent l'humanité depuis ses origines : Qu'est-ce qui existe réellement ? Pourquoi tout ce qui arrive, arrive ? Qui a fait cela ? C’est la thèse simple, mais profonde du philosophe Francis Wolff.
En l'exposant à travers des exemples concrets et des références à Aristote, Descartes ou Leibniz, il nous délivre une magistrale leçon de philosophie.
Un entretien mené pas Martin Legros.
L'antispécisme, a priori si sympathique venant défendre des animaux qui souffrent de conditions d'élevage atroces, est en réalité une idéologie profondément nihiliste. En refusant à "l'animal humain" toute particularité et en faisant des animaux un groupe victime, à l'égal des races, genres, sexes, colonisés et esclaves, il aboutit à l'élimination systématique de toute organisation sociale chez l'homme. Particulièrement dévastateur, il détruit aussi le monde animal, puisqu'il ne considère que l'individu, en lui déniant toute interaction avec son environnement. En toute logique l'antispécisme combat l'écologie qui, au contraire, se préoccupe de cet environnement.
Paradoxalement, il collabore sans réticence avec le pire de l'agro-industrie – celle-là même qui a développé l'élevage industriel - qui a trouvé dans cette idéologie et son expression, le véganisme, un moyen de confisquer l'agriculture mondiale en imposant la consommation exclusive d'aliments industriels de synthèse.