4 jours seulement après les attentats du World Trade Center, Paul Ricoeur et Monique Canto-Sperber sont interrogés par Alain Finkielkraut sur le sens de cet événement tragique.
Que penser du terrorisme ? Peut-on penser l'acte kamikaze dans les termes de la philosophie morale ? Comment expliquer l'émergence de ce mal ? Et à qui en imputer la responsabilité ?
Catastrophes environnementales, violences urbaines, précarisation de l’emploi, risques épidémiologiques : tout semble, en ce début de XXIe siècle, participer du renforcement de notre sentiment de peur.
Ou plutôt faudrait-il parler plus justement de nos peurs. Ces peurs qui nous rappellent l’incertitude propre à notre condition humaine et nous font réagir à toute forme d’intrusion ou d’étrangeté.
Peur de l’autre, peur de l’étranger, peur de la différence... peur de l’humain ?
Pour tenter d’atténuer ce sentiment, la plupart de nos sociétés occidentales ont choisi de renforcer, au moyen du droit, leurs outils de contrôle.
Or, ces formes de politique sécuritaire n’accroissent-elles pas paradoxalement nos peurs ? Ne produisent-elles pas à leur tour de nouvelles formes de peur ? Ou du moins, n’instrumentalisent-elles pas ces dernières afin d’assurer la pérennité de leur pouvoir ?
Ce qui est en question dans le moment actuel, ce n’est pas le capitalisme financier ; ce n’est pas le capitalisme tout court ; ce n’est pas le marché, régulé ou non, spéculatif à la hausse ou bien à la baisse : c’est la place que joue l’économie, dans nos vies individuelles comme dans le fonctionnement de nos sociétés. Cette place est immense et nous trouvons cela banal. L’économie tend à envahir le monde et nos pensées.
Ce n’est donc pas elle qui nous donnera le sens de ce phénomène massif et extraordinaire, puisqu’elle est à la fois juge et partie. Seul un regard éloigné, qui aurait réussi à se déprendre de l’économie, peut s’étonner de ce qui semble aller de soi au citoyen moderne, devenu intégralement, à son insu, homo oeconomicus.
Comme le sacré avant elle, l’économie est en train de perdre aujourd’hui sa capacité de produire elle-même des règles qui la limitent, disons de l’auto-transcendance. Tel est le sens profond de la crise.
La mythologie grecque a donné un nom à ce qu’il advient d’une structure hiérarchique (au sens étymologique d’ordre sacré) lorsqu’elle s’effondre sur elle-même : c’est la panique.
Jean-Pierre Dupuy se propose ici d’éclairer l’ombre sacrée de la crise économique actuelle à l’aune des enseignements d’Ivan Illich et de René Girard, véritables maîtres dans l’exploration des racines chrétiennes de la modernité.
La conférence est donnée dans le cadre du colloque "Vivre et penser avec Ivan Illich. Dix ans après.".
Le conférencier s'intéresse ici à la pensée de Carl Schmitt et au rapport de celui-ci à la philosophie politique. Il note que Carl Schmitt est une référence importante pour les philosophes continentaux, notamment Hayek, et pour les philosophes politiques alors même que selon Carl Schmitt il ne peut y avoir de philosophie politique.
De même, il n'y a pas de normativité morale : au fondement de la normativité, il y a la juridicité et non la moralité. Si l'on se met à agir pour des raisons morales, en politique, c'est le meilleur moyen de susciter une violence incontrôlable.
La guerre, inscrite dans la politique comme le mal dans la création, ne saurait avoir de justification morale ou rationnelle. Elle n'a qu'une valeur existentielle, particulière. Parce que l'identité personnelle est d'abord polémique (l'être humain se définit par opposition, par inimitié), un monde sans guerre serait un monde sans être humain.
Jean Leca analyse ensuite la critique schmittienne de la non-théorie politique du libéralisme : il n' y a pas de politique libérale sui generis, il n'y a qu'une critique libérale de la politique.
Jean-Pierre Dupuy prend acte de l’échec de la pensée économique, incapable de tenir le rôle du politique qu’elle a détrôné : les gouvernements se font les laquais des marchés financiers, et nos sociétés découvrent qu’elles n’ont plus d’avenir.
C’est au sein de cette "économystification" qu’il faut être capable d’opérer un sursaut moral et politique.
Parti d’Adam Smith, et de l’économie comme "mensonge collectif à soi-même", cet essai renoue avec la thèse de Max Weber sur le rôle de l’éthique protestante dans l’advenue du monde moderne. Il fait entendre ce qu’implique le "choix calviniste", irrationnel aux yeux des experts. Mais la rationalité de ces derniers ne mène qu’à la défiance généralisée et au repli sur soi, propices à tous les mouvements de panique.
Dénonçant les conseils des techniciens de l’économie qui cherchent à remplacer le gouvernement des hommes par la gouvernance des choses, Jean-Pierre Dupuy réhabilite la dimension prophétique du politique. Elle seule peut nous sortir de "l’économystification" dont nous sommes les victimes. Car ce n’est pas en déclarant la guerre aux marchés qu’on inventera l’avenir.
Observateur des campagnes napoléoniennes, Clausewitz a compris la nature de la guerre moderne : les termes de "duel", d'"action réciproque" ou de "montée aux extrêmes" désignent un mécanisme implacable, qui s'est depuis imposé comme l'unique loi de l'histoire.
Loin de contenir la violence, la politique court derrière la guerre : les moyens guerriers sont devenus des fins.
René Girard fait de Clausewitz le témoin fasciné d'une accélération de l'histoire. Hanté par le conflit franco-allemand, ce stratège éclaire, mieux qu'aucun autre, le mouvement qui va détruire l'Europe.
"Achever Clausewitz", c'est lever un tabou : celui qui nous empêchait de voir que l'apocalypse a commencé. Car la violence des hommes, échappant à tout contrôle, menace aujourd'hui la planète entière.
C’est en tant qu’helléniste que Jacqueline de Romilly s’exprime ici sur l’Europe.
Elle rappelle que la démocratie est née en Grèce mais aussi que plusieurs grands auteurs grecs ont critiqué cette conception. Elle nous rappelle la nécessité du "nomos", de la loi qui protège le faible et le défend contre les outrages et la violence.
Ces mots, enracinés dans une profondeur historique indispensable, sont offerts pour penser notre monde : à nous de les saisir pour mieux comprendre notre héritage et notre devenir.