Si l'économie de l'attention est, in fine, une organisation industrielle de la destruction des capacités d'attention, l'écologie de l'attention est ce qui permet de repenser l'attention comme un régime de soin. Ce régime de soin pourrait aussi s'appeler politique culturelle et correspondre aux missions du secteur socioculturel.
Comment penser alors les rapports entre l'omniprésence du numérique et l'évolution de nos formes de subjectivités ?
Yves Citton passe en revue différentes façons de concevoir ces rapports entre computation et subjectivation, à la fois pour en évaluer les dangers réels, et surtout pour envisager des perspectives d'espoir et de pensées inédites.
L'intelligence artificielle va-t-elle bientôt dépasser celle des humains ? Ce moment critique, baptisé "Singularité technologique", fait partie des nouveaux buzzwords de la futurologie contemporaine et son imminence est proclamée à grand renfort d'annonces mirobolantes par des technogourous comme Ray Kurzweil (chef de projet chez Google) ou Nick Bostrom (de la vénérable université d'Oxford). Certains scientifiques et entrepreneurs, non des moindres, tels Stephen Hawking ou Bill Gates, partagent ces perspectives et s'en inquiètent.
Menace sur l'humanité et/ou promesse d'une transhumanité, ce nouveau millénarisme est appelé à se développer. Nos machines vont-elles devenir plus intelligentes et plus puissantes que nous ? Notre avenir sera-t-il celui d'une cybersociété où l'humanité serait marginalisée ? Ou accéderons-nous à une forme d'immortalité en téléchargeant nos esprits sur les ordinateurs de demain ?
Fabriquer de toutes pièces des micro-organismes n'ayant jamais existé pour leur faire produire de l'essence, du plastique, ou absorber des marées noires ; donner un prix à la pollinisation, à la beauté d'un paysage ou à la séquestration du carbone par les forêts en espérant que les mécanismes de marché permettront de les protéger ; transformer l'information génétique de tous les êtres vivants en ressources productives et marchandes… Telles sont quelques-unes des "solutions" envisagées aujourd'hui sous la bannière de la transition écologique, du Pacte vert européen ou du Green New deal pour répondre tout à la fois à la crise climatique, au déclin de la biodiversité et à la dégradation de la biosphère.
Ces "solutions" n'en sont pas et nous font au contraire poursuivre dans la voie mortifère dans laquelle nous sommes engagés. Refuser cette fuite en avant est le premier pas à faire pour tracer enfin un autre chemin.
Voiture électrique, avion à hydrogène, capture du CO2 : pour beaucoup, le progrès technique nous sauvera du péril climatique. D'où cette question posée à François Jarrige, historien spécialiste de l'industrialisation : le progrès technique est-il une idéologie ?
- 0'00'39 : Introduction
- 0'02'06 : On entend souvent que la technique est neutre... est-ce que vous partagez cette idée ?
- 0'04'04 : Est-ce que vous avez un exemple d'une technique qui n'est pas neutre, qui impose une certaine vision du monde ?
- 0'06'30 : Aujourd'hui, les personnes qui critiquent la 5G, la voiture électrique ou certains types d'énergies, ce font vite traiter d'Amish, de vouloir revenir à la bougie... qu'est-ce que cela dit de notre société ? de son rapport à la technique ?
- 0'10'34 : L'innovation semble être un mot magique pour résoudre la crise écologique ou climatique, le progrès c'est une nouvelle religion, une nouvelle frontière du sacré ?
- 0'13'58 : Il y a une sorte d'amalgame entre la science et la technique ?
- 0'16'59 : A partir de quand peut-on dire que le progrès technique est une idée en soi, voire même une idéologie ?
- 0'20'28 : On a l'impression que le progrès technique n'a jamais été sérieusement remis en question, comment expliquer qu'il ait une image si lisse, alors que quand on vous lit, on voit qu'il a été fortement contesté par les ouvriers d'un côté... mais aussi par de très nombreux intellectuels ?
- 0'27'05 : On parle aujourd'hui du pic pétrolier, de la déforestation, de la pénurie de métaux... mais dès le XIXème siècle, on parle déjà de ces sujets-là ? Par la destruction de la nature, par l'épuisement des ressources ?
- 0'30'23 : C'est intéressant, dans Technocritiques, vous dites que les mots "écologie" et "pollution" sont inventés dans les années 1860... cela veut dire qu'il se passe quelque chose à cette époque... on change notre rapport à la nature ?
- 0'32'34 : Là, on arrive avec Stanley Jevons pour savoir si oui ou non les réserves de charbon vont s'épuiser ?
- 0'35'20 : Quand on voit ce que vous dites avec la peur de manquer de charbon dès le XIXe, on va passer progressivement du charbon au pétrole... est-ce qu'on ne vit pas une situation similaire aujourd'hui, où on cherche à passer du pétrole à l'électricité... dont les matériaux essentiels sont les métaux... est-ce qu'il y a un parallèle historique dans cette substitution ?
- 0'39'20 : On parle déjà au XIXème siècle du climat... on craint que l'acide carbonique puisse destabiliser le climat... on découvre l'effet de serre... Déjà au XIXème siècle, on a peur que l'Homme destabilise le climat ?
- 0'43'04 : Dans votre livre, vous montrez qu'il y a des autres très différents qui critiquent la technique... comme John Stuart Mill, Marx ou Gandhi... vous pouvez nous raconter les raisons qui poussent Gandhi de critiquer la technique ?
- 0'44'46 : Est-ce que les machine permettent de libérer l'Homme ou au contraire sont-elles en train de l'asservir ?
- 0'49'59 : Les années 1970, c'est une période assez féconde pour les penseurs technocritiques, avec Charbonneau, Illich - qui écrit la Convivialité - ou Jacques Ellul... est-ce qu'à ce moment-là, on s'aperçoit que la technique entraîne une forme de déshumanisation ?
- 0'57'21 : La modernité se caractérise par le dépassement des limites, aujourd'hui au contraire, on redécouvre les limites physiques de la Terre... est-ce que l'on change notre rapport à la technique aujourd'hui ?
- 1'00'48 : Quel message voudriez-vous délivrer aux gens qui nous écoutent ?
Sans débat, pas de démocratie, répète-t-on à l’envi. C'est encore plus vrai dans le monde des idées. La philosophie crève de ne plus débattre, sinon en vase clos. Tout le contraire de Renaud Camus et d’Olivier Rey. Quand l'auteur de La Dépossession rencontre celui d'Une question de taille, cela donne une rencontre au sommet.
Une rencontre qui se veut le début d'une réponse écologique à la fois radicale et enracinée à opposer à la technique sans âme et au marché sans loi qui nous dépossèdent du monde que nous aimons.
Un échange modéré par François Bousquet.
Objets connectés, assistants personnels, robots conversationnels, voitures autonomes... L'intelligence artificielle sous toutes ces formes accompagne notre quotidien, preuve de notre constante progression scientifique et technologique. Mais comment s'articulent tous ces dispositifs avec nos individualités, nos désirs ou nos représentations du monde qui nous entoure ?
Professeur à Sciences Po Paris et directeur du médialab, Dominique Cardon nous introduit le sujet avec un peu d'histoire et partage sa vision de sociologue sur l'intelligence artificielle et les impacts qu'elle a dans nos vies.
Un sujet passionnant qui touche plus encore à l'éthique et à la politique qu'à la technique.
L'inquiétude partagée que suscite la conscience des "potentialités apocalyptiques de la techno-science", selon l'expression de Cornelius Castoriadis, est fort compréhensible. Elle n'est toutefois d'aucun secours, ignorant le problème qui se pose dès que l'on s’interroge pour savoir qui peut apporter les réponses attendues et comment les mettre en œuvre ; c’est-à-dire dès que l'on se demande : que faire concrètement ?
La société industrielle menace de rendre le monde inhabitable. Son dernier avatar, l'utopie cybernétique organise la prison digitale gérant l'intégralité de nos existences, de la maternité au cimetière, de l'entreprise au foyer, du corps à l'âme. Sa force destituante est telle qu'aucune institution n'échappe à son travail d'érosion, qu'aucun frein ne semble en mesure de lui opposer la résistance d'un contre-courant.
Quelle attitude faut-il alors adopter ? En toute logique, celle du "conservateur ontologique", au sens de Günther Anders, qui sera alors luddite et royaliste : luddite quand il s'agit de se cabrer devant l'empire technique du Réseau et de se rebiffer contre le principe de l'Efficacité ; royaliste afin de poser les premières pierres d'une nouvelle Fondation. Le conservateur ontologique ourdit, patiemment mais résolument, l'irruption du "Roi qui vient".
Émission du "Libre Journal de la résistance française", animée par Catherine Rouvier.