Le nouvel ordre narratif. Avec Christian Salmon au Centre de Recherches sur les arts et le langage.


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11.2009

Le champ d’études ouvert par les nouveaux usages du récit est immense, sous l’autorité de multiples disciplines, qui se disputent des territoires aux contours flous parmi lesquels on peut repérer quatre entités ou régions principales :
 1) Au niveau microéconomique de l’entreprise, le storytelling est investi par les techniques de production ("storytelling management") et de vente ("marketing narratif") qui permettent de produire, de transformer et de distribuer des marchandises. Il désigne des modes d’actions et des dispositions de contrôle qui ont pour but de répondre à une crise générale de la participation et à la nécessité d’une mobilisation permanente des individus. Les techniques du storytelling interviennent ainsi dans les organisations afin de convertir des schémas ou des plans d’organisation en conduites individuelles. Ce sont des pratiques de configuration concrète des conduites : apprentissage, adaptation, formation, guidage et contrôle des individus, mais aussi de gestion des flux émotionnels, des investissements affectifs, d’organisation du sensible.
 2) Au niveau juridico-politique, le storytelling inspire de nouvelles techniques de pouvoir qui déterminent la conduite des individus, les soumettent à certaines fins par le quadrillage des territoires, la télésurveillance et le profilage narratif rendu possible par le croisement des fichiers. C’est l’équivalent de ce que Michel Foucault avait repéré et qualifié de "pouvoir d’écriture" à la naissance des sociétés disciplinaires (apparition des registres, des fichiers) et qui se prolongerait aujourd’hui à l’heure numérique par un pouvoir de narration capable non seulement d’enregistrer les allées et venues et les faits et gestes des individus, mais de prévoir leur comportement, de profiler leur histoire et de l’anticiper.
 3) Au niveau macropolitique, ce que Foucault appelait la "gouvernementalité", on constate la multiplication des références légitimantes au récit comme discours de validation des pratiques sociales, et de légitimation de l’ordre social dans lequel s’inscrivent ces pratiques telles qu’elles s’expriment par exemple dans les discours des hommes politiques. Ce storytelling (comme ethos qui s’oppose au storytelling comme praxis des niveaux 1 et 2) a pour but de justifier et d’engager les masses, de synchroniser et de mobiliser les individus et les émotions. C’est l’œuvre des storyspinners, des candidats et des agences de lobbying et de narration politique.
 4) Au niveau individuel, le storytelling se manifeste aussi dans les nouvelles techniques d’écriture et de jeux (digital storytelling) aux applications sans cesse nouvelles (blogs, chat, jeux interactifs en ligne, etc.) et qui permettent aux individus de prolonger l’action régulatrice des pouvoirs par des conduites d’auto-examen et d’autocontrôle. Cette mise en récit de l’existence par le sujet lui-même généralise un nouveau mode d’individuation : une autoprésentation de soi qui est à la fois écriture et exhibition. Autocontrôle narratif des individus : autoblographies, webcam, second life…
L’exposé s’est concentré sur deux points.
 1. Obama in fabula : Barak Obama a élevé le storytelling politique au rang d’un nouvel art rhétorique. Il doit sa victoire à un modèle nouveau, qualifié par Christian Salmon de "carré magique" : 1) raconter une histoire capable de constituer l’identité narrative du candidat (Storyline) ; 2) "inscrire l’histoire dans le temps" de la campagne, gérer les rythmes, la tension narrative tout au long de la campagne (timing) ; 3) "cadrer le message" idéologique du candidat (framing), c’est-à-dire encadrer le débat, comme le préconise le linguiste Georges Lakoff, en imposant un "registre de langage cohérent" et en "créant des métaphores" ; 4) "créer le réseau" sur Internet et sur le terrain, c’est-à-dire un environnement hybride et contagieux susceptible de capter l’attention et de structurer l’audience du candidat (networking).
 2. Kate Moss Machine : le "système de la mode" décrit par Roland Barthes à la fin des années 1960, immuable et souverain avec ses sentinelles silencieuses du style et sa loi d’euphorie, explose au début des années 1990. La mode sort de ses gonds. Elle fusionne avec la culture de masse et vivra désormais au rythme de ses polémiques et de ses scandales. Christian Salmon poursuit son enquête sur le "nouvel ordre narratif" en interrogeant la figure énigmatique de Kate Moss, mannequin célèbre dans le monde entier et nouveau mythe "trash" à l’âge d’Internet… Avec le corps maigre et mobile de Kate Moss, c’est une nouvelle figure qui apparaît au tournant du XXe siècle, celle d’un sujet idéal, adaptable en toutes circonstances, capable de se réinventer sans cesse à travers la mise en scène et la narration de soi.

Injonctions de la mode : la figure de Kate Moss. Avec Christian Salmon à l'Institut Français de la Mode.


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18.10.2011

Avec le corps maigre et mobile de Kate Moss, c'est une nouvelle figure qui apparaît au tournant du XXIe siècle, celle d'un sujet idéal, adaptable en toutes circonstances, capable de se réinventer sans cesse à travers la mise en scène et la narration de soi.
La figure de Kate Moss nous enjoint à devenir stratèges de nous-mêmes, en sujets aguerris capables de faire un usage intensif de nos compétences et de nos affects, dans le but de donner la meilleure image possible. Qu'il n'y a pas d'autre rapport à soi que ce travail de mise en valeur, assisté par toutes sortes d'experts du développement personnel. Que les individus n'ont plus le choix qu'entre une vie échangeable et donc stylisée, relookée et coachée, et une vie non stylisée mais qui ne vaut rien et dont personne ne veut.
Dans cette logique exclusive, nous sommes tous des mannequins anglais...

Politique de la littérature. Avec Christian Salmon au Centre de Recherches sur les arts et le langage.


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28.01.2014

Christian Salmon a dénoncé dans plusieurs ouvrages cette "nouvelle arme de distraction massive" qu’est devenu l’art de raconter des histoires lorsqu’il est investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant.
Face au Storytelling qui prétend "tracer" dans ses récits notre expérience du monde, la littérature s’efforce plus que jamais, selon le vœu de Kafka, de recréer "les conditions d’une parole vraie d’être à être", en esquivant les engrenages du récit, en opposant aux fictions régulatrices du pouvoir la "fonction fabulatrice" des pauvres — les voix de toutes les exclusions, de tous les exodes, sur lesquels s’inventent les "patries imaginaires", ces "Indes de l’esprit" toujours en devenir qu’évoquait Salman Rushdie…

Le Storytelling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Avec Christian Salmon à la Bibliothèque municipale de Lyon.


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20.03.2008

Depuis qu'elle existe, l'humanité a su cultiver l'art de raconter des histoires, un art partout au coeur du lien social.
Mais depuis les années 1990, aux États-Unis puis en Europe, il a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l'appellation anodine de storytelling : celui-ci est devenu une arme aux mains des "gourous" du marketing, du management et de la communication politique, pour mieux formater les esprits des consommateurs et des citoyens.
C'est cet incroyable hold-up sur l'imagination des humains que révèle Christian Salmon dans ce livre, au terme d'une longue enquête consacrée aux applications toujours plus nombreuses du storytelling : du marketing à la communication militaire, le raisonnement rationnel est mis de côté au profit d'une machine à raconter censée envoûter l'individu.

Quels retours du récit ? Avec Christian Salmon, Vincenzo Susca et Wajdi Mouawad au Théâtre des idées du Festival d'Avignon.


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20.07.2009

Face au hold-up sur l'imaginaire effectué par les machines à fabriquer des histoires mises en place par l'industrie culturelle ou les officines de communication politique, comment l'art de la représentation peut-il résister à ce nouvel ordre narratif, à l'heure où les frontières entre le réel et la fiction s'estompent ? Comment inventer des histoires et des contre-narrations libératrices face à cette nouvelle "arme de distraction massive" ?
Christian Salmon a mené une longue enquête les techniques de storytelling qui deviennent l'apanage des pouvoirs, comme l'illustre la multiplication aux États-Unis des pratiques narratives dans les domaines les plus divers, tels que le management, le marketing ou la communication politique.
Wajdi Mouawad, quant à lui, s'emploie à réactiver la faculté émancipatrice du récit dans son œuvre théâtrale, en construisant des fictions libératrices qui échappent à l'ordre du discours.
Enfin, le sociologue Vincenzo Susca a exploré la construction fictionnelle de l'ascension de Silvio Berlusconi au pouvoir, à la fois fable émancipatrice et récit manipulateur.
Un dialogue à trois voix pour comprendre comment l'art du récit peut échapper à cette volonté qu'ont certains pouvoirs de vouloir nous "raconter des histoires".

Storytelling. Avec Christian Salmon à la Librairie Tropiques.


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19.03.2008

Depuis qu’elle existe, l’humanité a su cultiver l’art de raconter des histoires, un art partout au coeur du lien social.
Mais depuis les années 1990, aux États-Unis puis en Europe, il a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l’appellation anodine de "storytelling" : celui-ci est devenu une arme aux mains des "gourous" du marketing, du management et de la communication politique, pour mieux formater les esprits des consommateurs et des citoyens.
Derrière les campagnes publicitaires, mais aussi dans l’ombre des campagnes électorales victorieuses, de Bush à Sarkozy, se cachent les techniciens sophistiqués du storytelling management ou du digital storytelling.