Avec son ouvrage "Etats de choc - Bêtise et savoir au XXIème siècle", Bernard Stiegler poursuit son oeuvre philosophique, s'efforçant de penser les aspects et enjeux des mutations actuelles portées par l'évolution technologique.
Il part d'un constat : la brutale accélération de la mutation, dont les signes autour de nous sont nombreux - crises financières, perte de souveraineté des Etats endettés, perte de crédibilité politique, crise de l'éducation, ... Avec l'autonomie des Etats est attaquée l'autonomie du sujet. La raison est sapée par la rationalisation à outrance. Les esprits sont prolétarisés.
Comment alors combattre la bêtise qui reprend ses droits ?
Avec la numérisation totale qui installe la société automatique et l’automatisation intégrale et généralisée (c’est à dire la destruction de l’emploi dans tous les secteurs de l’économie), il y a désintégration des sociétés industrielles issues de l’Aufklärung par les sociétés hyperindustrielles parce que celle-ci constituent le troisième stade de la prolétarisation. Après la perte des savoir-faire au XIXe siècle, puis des savoir-vivre au XXe siècle, le temps vient au XXIe siècle de la perte des savoirs théoriques comme si la sidération était provoquée par un devenir absolument impensable.
La fin de l’emploi, qui est promise par l'automatisation intégrale, nécessite de généraliser le statut des intermittents du spectacle sous la forme d’un revenu contributif soutenant un vaste processus de déprolétarisation de la société. Cela permettra à tout un chacun de profiter des automates en ayant acquis des capacités de les désautomatiser, de produire de la néguentropie contre l’entropie qu’autrement ils généraliseraient - et en fin de compte, de réinventer le travail libéré de l'emploi.
Chaque fois qu’un peuple fait sa révolution industrielle et se modernise, il sombre dans un nihilisme de masse, comme en témoigne alors l’explosion des courbes statistiques du suicide et de la dépression.
Pourquoi l’entrée dans la modernité s’accompagne-t-elle visiblement toujours de la généralisation du spleen et du mal-être ? En quoi les modes de vie actuels sont-ils susceptibles d’entretenir cet état de déprime ? L’individualisme et la solitude, qui sont désormais le lot quotidien de milliards d’hommes et de femmes à travers le monde, ne forment-ils pas en définitive les contours d’un nouveau mal du siècle ?
Plan de l'exposé :
1/ Etat des lieux : le suicide et la dépression sont des problèmes majeurs aujourd’hui
2/ Le mal-être se développe avec la richesse économique des nations
3/ Les modes de vie modernes favorisent la solitude
4/ Les pauvres souffrent plus que les riches de la modernité, au XXIe siècle
5/ La mondialisation des menaces rend toute action individuelle ou collective impossible et nous déprime
6/ Notre ère se caractérise par le désenchantement et la fin des idéaux
7/ La société de consommation aggrave le processus, en valorisant le présent plutôt que l’avenir
8/ La modernité comporte malgré tout de nombreux mérites, comme le goût pour la réalisation personnelle
En 1983, Stuart Ewen publiait "Consciences sous influence - Publicité et genèse de la société de consommation". Ce livre, devenu aujourd'hui introuvable alors qu'il était pour beaucoup une référence incontournable de la critique sociologique, est republié aux éditions du Retour aux Sources sous un nouveau titre : "La société de l'indécence".
Stuart Ewen y retrace l'origine de ce que Guy Debord nomma pour sa part le Spectacle, allié objectif bien que jamais défini comme tel de la guerre culturelle menée pour l'expansion du modèle américain, finissant par instaurer après des décennies de mise en œuvre une véritable société de l’indécence, en opposition frontale avec la fameuse common decency (décence commune) de George Orwell si chère à Jean-Claude Michéa.
L'auteur démontre dans son livre que ce nouvel ordre "libéral-libertaire" mondial, loin d'être l'aboutissement d'une évolution spontanée, a bien été mis en place de manière concertée selon des méthodes scientifiques de planification et d'ingénierie sociale.
En fidèles disciples d’Ewen, Lucien Cerise et Thibaut Philippe nous expliquent ici la genèse, les ambitions et les techniques mises en œuvres par le système pour imposer le modèle de cette "société de l’indécence".
L'émission est animée par Jean-Louis Roumégace.
D’ici une vingtaine d’années, l’automatisation va déferler sur tous les secteurs de l’économie mondiale et signer la mort définitive de l’emploi. Et si c’était une vraie bonne nouvelle ?
Parce que l’emploi, cette activité privée de sens qui est sanctionnée par un salaire, a détruit le travail, explique le philosophe Bernard Stiegler. Et parce que la fin de l’emploi est l’occasion de réinventer le travail au cœur de nos sociétés du numérique, de construire une économie contributive en lieu et place de cette "économie de l’incurie" qui nous détruit à petit feu.
Un entretien mené par Ariel Kyrou.