Historien, démographe, anthropologue, Emmanuel Todd est aussi un polémiste qui ferraille tout le temps et avec tous, et tente, depuis plus de 40 ans, de comprendre la finalité de notre humanité en tirant le portrait de nos sociétés. A bout portant.
Émission "A voix nue", animée par Sébastien Petitot.
Avec l'Intelligence Artificielle, l'Homme s’est pris à rêver, du meilleur comme du pire. Entre les partisans d'un avenir radieux où l'Homme sera quasi immortel et où les ordinateurs seront drôles, sexy et aimants (Laurent Alexandre, Ray Kurzweil), et ceux qui versent plutôt dans les lendemains qui déchantent – Elon Munsk, Stephen Hawking, pour ne citer qu’eux – le consensus est loin d’être atteint.
Mais l'IA n’est pas qu'un objet de débats politiques et éthiques. C’est aussi un sujet central pour les entreprises, et les start-ups s'y sont mises en masse.
Olivier Ezratty, conseil pour les entreprises dans l'élaboration de leurs stratégies d'innovation et très actif dans l'écosystème des start-ups (il publie chaque année le Guide des start-ups et le Rapport du CES de Las Vegas) propose de revenir sur les usages de l'IA et sur la manière dont celle-ci va transformer la société, le travail et les métiers de demain.
C'est en plein coeur du Centre Européen de Recherches Nucléaires, citadelle d'une recherche de pointe, que le célèbre mathématicien Alexandre Grothendieck vient exposer ses prises de position vigoureusement antimilitaristes et antinucléaires. Celui qui, un an et demi auparavant, a démissionné de son institut de recherche pour cause de financements militaires, est devenu un professionnel de la subversion au sein des institutions scientifiques. Il développe ici son thème de prédilection, sur lequel on le sollicite de toutes parts, des écoles d'ingénieurs de province aux plus prestigieux laboratoires nationaux.
S'interogeant sur la responsabilité professionnelle des "travailleurs scientifiques", cette autocritique de l'un des plus grands savants du XXe siècle se révèle alors édifiante.
Après une enfance et une adolescence hors normes – de l’Allemagne hitlérienne aux camps français de réfugiés espagnols –, le jeune Grothendieck s'est jeté à corps perdu dans la recherche mathématique. Rejoignant le groupe Bourbaki, qui ambitionne d'unifier et de refonder "la" mathématique sur des bases axiomatiques extrêmement formalisées, il embrasse la conception d'une "recherche pure", dégagée de toute application matérielle. À l'Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES), fondé pour lui en 1958 et dont il fait la renommée mondiale, il répugne à toute collaboration avec des physiciens. Bâtisseur de nouveaux espaces mathématiques, il préfère, à la résolution de problèmes connus, l'édification de nouveaux . Grand parmi les grands, il vit confortablement dans un petit "ghetto scientifique" (dira-t-il ensuite), partageant avec Jean Dieudonné, son plus proche collaborateur, une idéologie extrêmement élitiste que Mai 68 n'ébranlera que très partiellement.
Le basculement pour Grothendieck provient de la guerre du Viêt Nam. La science y tue par centaines de milliers. Face à la compromission de la quasi-totalité des disciplines scientifiques (physique, chimie, microélectronique, anthropologie, etc.), qui trouvent au Viêt Nam un champ d’expérimentation grandeur nature, il entreprend de moraliser les chercheurs. Puis, l'été 1970, il découvre les mouvements de scientifiques nord-américains en lutte contre le complexe scientifico-militaro-industriel. Sur un modèle proche, il fonde le mouvement Survivre qui se donne comme objectifs de dégager la recherche de ses liens avec l'armée et de lutter pour la survie de l'espèce humaine, menacée par la puissance de destruction des technosciences.
À Survivre, où il est rejoint par d’autres mathématiciens aux sensibilités plus libertaires, il prend conscience du rôle oppressif qu'il a tenu jusque-là en tant que grand savant. Intégrant la critique soixante-huitarde, il analyse la recherche comme une activité répressive, tant pour les techniciens et les "scientifiques moyens" que pour les profanes. Pour Survivre, la prétention de la science à l'universalité, son monopole sur la vérité, dépossèdent en effet tout un chacun de formes de connaissances autres, détruisant les cultures non technico-industrielles et nous soumettant à l'autorité hétéronome d’experts de tous poils. Le mouvement s'attache alors à désacraliser la science, et tout particulièrement à déconstruire le mythe de la science pure, qui masque son rôle crucial dans la poursuite d'un développement industriel désastreux. Survivre, devenu Survivre et Vivre, participe de l'émergence en France d'une critique radicale de la science, menée par les scientifiques eux-mêmes, au sein de laquelle il se signale par ses accents écologistes, libertaires et technocritiques .
Sa critique du scientisme s'ancre en effet dans celle de la société industrielle et l'amène à se lier aux mouvements écologistes naissants. Au petit groupe de scientifiques parisiens s'adjoignent alors des groupes de province engagés dans des luttes et alternatives locales, tandis que les numéros de sa revue, Survivre… et Vivre, tirés à plus de 10'000 exemplaires, s'épuisent rapidement. Aux côtés de son ami Pierre Fournier, Grothendieck s'investit tout particulièrement dans la lutte antinucléaire.
Cette invitation au CERN témoigne alors de l'écho rencontré durant les années 1970 par ses critiques radicales de la recherche dans les milieux scientifiques, traversés par le doute et un profond malaise quant à leur rôle social.
Aujourd'hui, le projet scientifique n'apparaît plus enchâssé dans un projet de civilisation : toute innovation est désormais interrogée pour elle-même, et non plus en fonction d'un horizon plus général qu'elle permettrait d'atteindre ou d'entrevoir.
Le sentiment s’installe en effet que le progrès technique, longtemps réputé servir à l'amélioration de la condition humaine, se développe dorénavant pour lui-même et non plus en vue d'une fin supérieure. Comme si la rivalité des laboratoires et des entreprises engendrait de façon presque automatique un impératif "d'innovation pour l'innovation, de recherche pour la recherche", sans que personne ne maîtrise plus le processus.
Contre cette menace d'être dépossédés de leur destin, les individus et les sociétés aspirent à disposer de repères plus objectifs et mieux assurés.
Qu'est-ce que les scientifiques ont à nous dire de cette situation ?
Le 27 janvier 1972, au Centre Européen de Recherches Nucléaires (CERN), citadelle d'une recherche de pointe, des centaines de techniciens et de physiciens se pressent pour écouter la conférence donnée par Alexandre Grothendieck. Intitulée "Allons-nous continuer la recherche scientifique ?", celle-ci témoigne de l'engagement nouveau de ce célèbre mathématicien, devenu en quelques années un professionnel de la subversion au sein des institutions scientifiques. À partir de la présentation d'extraits de cette conférence, cet exposé se propose de revenir sur les motifs et les formes de l'engagement d'Alexandre Grothendieck durant la première moitié des années 1970.
Tout en restituant la spécificité du parcours de ce grand savant, il tentera de resituer son engagement dans l'agitation plus large qui traverse alors différents secteurs sociaux de la France de l'après mai 68.
Celui-ci ne peut-il se lire comme un révélateur de la crise qui traverse alors une partie du milieu mathématique, comme semble en témoigner la composition du mouvement Survivre créé par Grothendieck ? Plus largement, Survivre, fondé sur le modèle des grands groupes de scientifiques engagés nord américains, ne constitue-il pas une des déclinaisons françaises, parmi les plus abouties, du mouvement d'auto-critique des sciences qui conduit alors de nombreux chercheurs à s'interroger sur les finalités de leur travail ? Enfin, Survivre ne doit-il pas son succès, comme Grothendieck son audience, à son immersion dans les réseaux écologistes naissants, témoignant par là de l'apport décisif de la critique des sciences dans l'émergence du mouvement écologiste ?
Autant de questions auxquelles Céline Pessis tente de répondre en retraçant les différents temps de l'engagement de Grothendieck durant la première moitié des années 1970 et en éclairant les nouveaux réseaux qu'il côtoie alors.
C'est à l'initiative de Bernard Stiegler que l'association Ars Industrialis a été créée le 18 juin 2005 en se présentant alors comme une "Association internationale pour une politique industrielle de l’esprit".
Car à notre époque, la vie de l'esprit, selon les mots d'Hannah Arendt, a été entièrement soumise aux impératifs économiques, et aux impératifs des industries culturelles, et des industries de l’informatique et des télécommunications. Ce secteur peut être défini comme celui des technologies de l’esprit.
À la critique du dévoiement de ces technologies comme instruments de contrôle des comportements, c'est à dire des désirs et des existences, Ars Industrialis associe la proposition centrale de former une écologie industrielle de l'esprit.
Retour sur la trajectoire et la dynamique Ars industrialis en compagnie de Bernard Stiegler et des nombreuses personnes qui se sont agrégées au projet.
Durant les vingt dernières années, l'Internet et ses services se sont développés sans véritablement tenir compte de la dimension temporelle. Il nous donne aujourd'hui à voir un "Grand maintenant", infiniment dense et continuellement mis à jour. Les Big Data nous promettent une société où nous pourrions anticiper l'avenir, grâce à la puissance de calcul des superordinateurs et la collecte massive de données. Pourtant, à ne scruter que les palpitations du présent, la prédiction algorithmique marque déjà ses limites intrinsèques.
L'Europe est aujourd’hui la mieux placée pour réussir le virage spatio-temporel de l'Internet. La richesse de son passé est un de ses meilleurs atouts pour son futur. Les progrès de la robotique et de l'intelligence artificielle permettent d'envisager une infrastructure à l'échelle du continent pour numériser, analyser, reconstituer notre patrimoine millénaire. Il y a des kilomètres d'archives à traiter, des milliards de pages à transcrire, des centaines de villes à modéliser comme autant de nœuds d'un vaste réseau d'échanges constituant notre histoire commune.
Le projet Time Machine, en compétition dans la course pour les nouveaux FET Flagships, propose une infrastructure d'archivage et de calcul unique pour structurer, analyser et modéliser les données du passé, les réaligner sur le présent et permettre de se projeter vers l'avenir. Il est soutenu par 80 institutions provenant de 20 pays et par 14 programmes internationaux. Le projet Time Machine peut donner à l'Europe la technologie de son renouveau : une occasion unique pour construire notre futur à partir de notre patrimoine commun, une occasion unique pour nous retrouver.
Ni thèse, ni synthèse, les réflexions que donne Jacques Le Goff peuvent être lues comme l’aboutissement d’une longue recherche. Et d’une réflexion sur l’histoire, sur les périodes de l’histoire occidentale, au centre de laquelle le Moyen Âge est son compagnon depuis 1950.
À l’heure où les effets quotidiens de la mondialisation sont de plus en plus tangibles, ces questions nous interrogent sur les diverses manières de concevoir les périodisations dans l’histoire : les continuités, les ruptures, les manières de repenser la mémoire de l’histoire.
Reste le problème de savoir si l’histoire est une et continue ou sectionnée en compartiments ? ou encore : s’il faut vraiment découper l’histoire en tranches ?
Dans une seconde partie, les historiens Étienne Anheim, Patrick Boucheron, Christian Lamouroux et Silvia Sebastiani réagissent aux questions et thèses avancées par Jacques Le Goff.