Saturne, c'est ici l'Absolu de Hegel, un Absolu pensé si seul qu'il ne vit que de la perpétuelle dévoration de ses propres enfants, craignant d'être détrôné de son absoluité s'il n'absorbe pas, à mesure qu'il la produit, sa propre altérité. C'est cette solitude de Dieu qu'interroge Romain Debluë en suivant au sein de l'œuvre hégélien l'évolution, puis le plein déploiement conceptuel de la notion de Singularité, qui n'est autre que le nom divin par excellence. Si Dieu, l'Absolu, est pour Hegel la Singularité même, ce n'est que parce qu'il est le mouvement de réflexion réciproque de l'Universel et du Particulier : l'Esprit est la réflexion du Logique dans la Nature, et de la Nature dans le Logique.
Hegel ou le festin de Saturne se présente alors comme une enquête destinée à dévoiler le meurtre rituel dont la Singularité est le nom dans le Système hégélien. Or, cette Singularité, que nous sommes habitués à entendre individuelle, s’y révèle être boulimique ou, justement, saturnienne. S’ouvrant sur la faillite spéculative des singuliers sensibles au début de la Phénoménologie de l'Esprit, le travail de Romain Debluë ne pourra se conclure qu'avec le triomphe de la Singularité dialectique ne laissant rien – pas même ou surtout pas – son Autre hors d'elle-même, lorsque ce triomphe sera mesuré à l’aune de la conceptualité chrétienne dont se revendique le protestant Hegel, mais qu'il trahit sur un point capital en voulant l'accomplir.
Mais Saturne, c'est aussi le "soleil noir" des alchimistes, que l'on a pu associer au soleil obombré au moment de la mort du Christ : quoi de plus naturel, dès lors, que d'en faire l'astre tutélaire d'un système qui se construit tout entier autour d'un "Vendredi-saint spéculatif" ? Car, comme Dante dut traverser les neufs cercles de l'Enfer avant d'espérer pouvoir s'élever au Purgatoire, puis au Paradis, l'homme pensant doit traverser le Système de la Science, en subir peut-être les glaçantes tentations, en méditer en tous cas la fascinante rigueur conceptuelle, pour pouvoir ensuite espérer voir scintiller devant lui les lueurs matinales d'un inattendu "dimanche de Pâques spéculatif".
Émission "Le monde de la philosophie", animée par Rémi Soulié.
Armes de destruction massive, pollution, extinction démographique : tout ce qui menace l'homme en tant qu'espèce vivante ne fait plus de doute. Mais il existe des facteurs qui, venant de l'homme lui-même, sapent son humanité propre. Ils ont beau être difficiles à saisir, c'est eux que Rémi Brague tâche de repérer à travers une analyse fulgurante et radicale de l'idée d'humanisme.
Car il ne s'agit plus de savoir comment nous pouvons promouvoir la valeur homme et ce qui est humain. La question, désormais, est plus profonde : faut-il vraiment promouvoir un tel humanisme ? Nous ne pouvons plus nous bercer d'illusions. Il est facile de prêcher un humanisme réduit aux règles du vivre-ensemble, mais comment le fonder ?
La pensée moderne est à court d'arguments pour justifier l'existence même des hommes. En cherchant à bâtir sur son propre sol, à l'exclusion de tout ce qui transcende l'humain, nature ou Dieu, elle se prive de son point d'Archimède. Est-ce une façon de dire que le projet athée des temps modernes a échoué ?
Émission "Le monde de la philosophie", animée par Philippe Nemo.
Florence : une ville de laquelle est sortie autant de gens illustres que Marsile Ficin, Leon Battista Alberti, Léonard de Vinci, Nicolas Machiavel ou encore Michel-Ange. Cette "nouvelle Athènes" incarna presque à elle seule l'effort de la Renaissance en matière artistique et philosophique.
Comment peut-on comprendre et expliquer ce lien destinal entre une ville et la philosophie ?
Émission "Le monde de la philosophie", animée par Philippe Nemo.
Albert Camus fait l'objet de nombreux malentendus qu'il est temps de dissiper. C'est le travail que se proposent d'accomplir les invités ici réunis en revenant de façon novatrice et éclairante sur l'oeuvre de ce grand philosophe et écrivain.
La notion de "reconnaissance" est au coeur de l'oeuvre de Camus et c'est en abordant les trois cycles de son oeuvre (l'absurde, la révolte, l'amour) que l'on comprend mieux ses différentes prises de position : son refus radical de la peine de mort et de la bombe atomique, sa méfiance en la révolution ou sa position par rapport à l'Algérie.
Il est également important de prendre en compte un élément intime de la construction de la pensée d'Albert Camus : l'amour qu'il portait à sa mère.
Émission du "Libre Journal des enjeux actuels", animée par Arnaud Guyot-Jeannin.
Les souffrances psychiques ne sont pas des maladies. Mais elles peuvent y mener. La condition de l'homme étant tragique, ouverte, risquée, la fragilité de l'homme est inhérente à son être-au-monde. Toutefois, si le malaise est dans l'homme depuis toujours, le monde moderne et hypermoderne lui donne des formes nouvelles. Les sociétés traditionnelles fonctionnaient sur la base d'un modèle d'intégration sociale, au demeurant inégalitaire, où chacun néanmoins avait sa place, y compris le fou. Les sociétés modernes ont fonctionné sur le mode du refoulement et de la névrose. La société du travail ne voulait pas connaître les états d'âme, ni même les âmes d'ailleurs.
La société hypermoderne combine les exigences du travail et celles de l'autonomie : il faut être productif, il faut être performant, mais aussi "positif". Il faut donner sa force de travail, mais aussi assumer un certain savoir-être, et non simplement apporter son savoir-faire. La mobilisation de l'homme dans l'hypercapitalisme est donc totale mais elle n'est plus une mobilisation sous une forme guerrière qui était celle du "soldat du travail". C'est une mobilisation pour plus de mobilité, plus de fluidité, plus de liquidité. L'hypercompétitivité et la lutte de tous contre tous tendent à devenir la règle. Le consumérisme et le narcissisme tout comme le désir mimétique en sont les conséquences. Tout ce qui relève des projets à long terme, individuels ou collectifs, en sort évidemment dévalorisé.
Cela ne va pas sans de nouvelles formes de malaises intimes, psychiques, qui atteignent l'homme et le reconfigurent. Ce livre, qui s'essaie à en dresser le portrait, est ainsi un court traité de psychopathologie de l'homme moderne pour mieux comprendre notre monde.
Émission du "Libre Journal de Claude Giraud", animée par Christian Brosio.
La France a longtemps passé pour le pays des femmes. Elle a pourtant la réputation d'être aussi celui d'un féminisme timoré qui a tardé plus qu'ailleurs à asseoir ses conquêtes. D'où vient cette timidité ? Et pourquoi le discours du féminisme extrémiste trouve-t-il en France si peu d'écho ?
C'est ce paradoxe qu'explore Mona Ozouf, en cherchant à écouter et à faire entendre "les mots des femmes", ceux qu'elles ont choisis elles-mêmes pour décrire la féminité. Ainsi se succèdent les figures et les voix de Madame du Deffand, Madame de Charrière, Madame Roland, Madame de Staël, Madame de Rémusat, George Sand, Hubertine Auclert, Colette, Simone Weil et Simone de Beauvoir.
La traversée de cette galerie fait découvrir la diversité inventive des cheminements féminins et met en valeur une singularité française dont Mona Ozouf restitue magistralement l'histoire et les contours, à savoir que les Français (et ce neutre englobe bien entendu les Françaises !) demeurent capables de négocier un rapport heureux entre la différence et l'égalité.
Émission des "Mardis de la mémoire", animée par Pierre Chaunu.
Plus d’un demi-siècle après l'indépendance de l'Algérie, est-il possible de raconter sans manichéisme et sans œillères la guerre au terme de laquelle un territoire ayant vécu cent trente ans sous le drapeau français est devenu un État souverain ?
La conquête et la colonisation au XIXe siècle, le statut des différentes communautés au XXe siècle, le terrible conflit qui ensanglanta l'Algérie et parfois la métropole de 1954 à 1962, tout est matière, aujourd'hui, aux idées toutes faites et aux jugements réducteurs.
Dans son livre Les vérités cachées de la Guerre d'Algérie, Jean Sévillia affronte cette histoire telle qu'elle fut : celle d'une déchirure dramatique où aucun camp n'a eu le monopole de l'innocence ou de la culpabilité, et où Français et Algériens ont tous perdu quelque chose, même s'ils l'ignorent ou le nient.
Émission du "Libre Journal des amitiés françaises", animée par Thierry Delcourt.
Non, le sabre et le goupillon n'ont pas toujours été unis. Au contraire, l'histoire des papes de Rome et des rois de France a été tumultueuse, se soldant par une ribambelle de monarques excommuniés. C’est cette chronique contradictoire et contrastée, haute en couleurs, que nous rappelle François-Marin Fleutot, accompagé d'Aymeric Pourbaix.
En 800 ans, sur les trente-six héritiers de la dynastie fondée par Hugues Capet, ce ne sont pas moins de quatorze chefs de la "fille aînée de l'Église" qui seront interdits de sacrements, de Philippe-Auguste à Louis XIV. Dans le même temps, en s'opposant aux pontifes, les rois édifient la doctrine si française de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel...
Et aujourd'hui : qu'en reste-t-il ? L'héritage des relations en la France et l'Eglise cathoique perdure-t-il encore sous d'autres formes ?
Émission "Lumière de l'espérance", animée par Philippe Delorme.