La guerre d'Ukraine ressuscite-t-elle les guerres traditionnelles interétatiques que nous avions crues derrière nous ? N'invalide-t-elle pas notre certitude de voir les guerres irrégulières devenir la norme des conflits ?
Face à la surenchère médiatique englobant ce conflit, il convient de mettre en pratique le principe d'analyse élaboré par Fernand Braudel : "les événements ne sont que poussière, ils ne prennent sens que lorsqu'on les replace dans les rythmes et les cycles de la conjoncture et de la longue durée". Braudel entend par là qu'il importe d'abord d'appréhender le cadre macro-social-économique et politique ainsi que les tendances lourdes du temps long historique dans lesquels les événements prennent corps pour pouvoir, ensuite seulement, en saisir la portée ou, au contraire, la marginalité.
Dans la configuration actuelle des relations internationales, il faut ainsi avoir à l'esprit des paramètres de longue durée si l'on veut porter un regard un tant soit peu pertinent sur les événements en cours.
En conséquence, plutôt que de se demander, comme dans un bon vieux western, "qui sont les gentils et qui sont les méchants", il convient de mettre à profit ce "moment ukrainien" pour tenter de décrypter ce qui nous arrive et, si possible, prévoir une riposte adaptée. Car, il y a tout lieu de penser que c’est dans la matrice de cette guerre que le monde de demain est en train d'éclore.
Durant ce séminaire prononcé entre la sortie de Surveiller et Punir et celle de La Volonté de savoir, Michel Foucault s'interroge sur la pertinence du modèle de la guerre pour analyser les relations de pouvoir, qu'il définit en deux formes : le pouvoir disciplinaire, qui s'applique sur le corps par le moyen des techniques de surveillance et des institutions punitives, et ce qu'il appellera désormais le "bio-pouvoir", qui s'exerce sur la population, la vie et les vivants.
Analysant les discours sur la guerre des races et les récits de conquête (notamment chez Boulainvilliers), Michel Foucault dresse la généalogie du bio-pouvoir et des racismes d'État. La logique des rapports entre pouvoir et résistance n'est pas celle du droit mais celle de la lutte : elle n'est pas de l'ordre de la loi mais de celui de la stratégie.
La question est dès lors de savoir s'il convient de renverser l'aphorisme de Clausewitz et de poser que la politique est la continuation de la guerre par d'autres moyens.
Stratégiste et historien, Benoist Bihan a récemment publié aux éditions Perrin ses Entretiens sur l'art opératif avec l'historien Jean Lopez concernant l'œuvre d'un général russe trop peu connu en France : Alexandre Svietchine. Tardivement mis en œuvre par les Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, l'art opératif reste mal compris aujourd'hui dans les grands états-majors qui doivent se préparer à conduire la guerre.
Tout en expliquant les idées maîtresses d'Alexandre Svietchine, Benoist Bihan relit maintes pages d'histoire militaire et nous permet de comprendre ce que fut, et ce que pourrait être, l'art de la guerre.
Depuis la fin du XXe siècle, le capitalisme financier triomphant a vidé les Etats de leur substance, les empêchant de remplir leur fonction de protection de leurs populations. Dans l'espace laissé vide, une violence anarchique et capillaire s'est engouffrée. N'étant plus canalisée par le monopole étatique, elle se traduit par un continuum de guerres internes se déroulant au sein même des sociétés. Ce n'est plus l'Etat, mais l'individu qui est dorénavant l'acteur de la guerre.
Bernard Wicht nous emmène ainsi sur les traces de l'autodéfense et de son articulation lorsque le citoyen n'est plus un soldat, mais un simple contribuable, autrement dit, un "homme nu" coincé entre les dérives de l'Etat-policier et le pouvoir arbitraire des nouveaux barbares (narco-gangs, groupes armés, terroristes). Il s'efforce alors de mettre en évidence les ressorts de cette autodéfense dont dépend aujourd'hui notre destin.
Plus qu'aucun autre pays européen, la France fait usage de ses forces armées, engagées sans relâche dans des "opérations extérieures" au long cours dont il est parfois difficile de discerner la cohérence d'ensemble. En tête des institutions préférées des Français, qui voient en elles une valeur refuge dans une société désorientée, les Armées ont vu disparaître le climat d'antimilitarisme des années 1970. Mais l'opprobre n'a pas été remplacé par une meilleure compréhension de ce qui guide l'action de guerre.
Or la remise en cause, violente, du cadre des relations entre les États, et désormais des structures mêmes de nos sociétés, nous impose de comprendre. Elle commande de penser la stratégie, et d'approcher ce que signifie être et agir en homme de guerre : pas seulement en militaire, mais bien en citoyen face aux périls menaçant sa Nation, en être humain face à l'inéluctable tragédie de la Politique.
Un monde nouveau émerge, dans les fracas du terrorisme et de la guerre économique, au rythme de "crises" protéiformes. Pour nous, Français, ce monde neuf nous projette paradoxalement vers des horizons anciens, où se pose la question de la survie, et où la victoire est parfois le seul chemin vers la paix. Mais pour y parvenir, il nous faudra toutefois nous montrer capables à nouveau de penser, et de faire la guerre.
Émission du "Libre Journal de la crise", animée par Laurent Artur du Plessis.
Michel Goya est un essayiste particulier, qui allie la vocation militaire à la rigueur de l'historien. Dans le cadre de cet entretien, il revient sur deux de ses livres, Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail (Tallandier) et S'adapter pour vaincre (Perrin).
L'occasion de développer des thématiques aussi différentes que l'expérience du feu, la formation des soldats et le problème des "savoir-faires disparus" à certaines époques au sein de l'institution, son intérêt pour la Grande guerre et la manière dont celle-ci fonctionne comme un cas d'école du changement en contexte de guerre, la problématique de l'innovation technique ou encore la notion de "doctrine", centrale dans le fonctionnement militaire, de sa naissance au XIXe siècle jusqu'à ses mutations contemporaines.
Émission "Le Collimateur", animée par Alexandre Jubelin.
L'intervention porte sur la pensée de Julien Freund, théoricien de la science politique, disciple de Carl Schmitt, et plus précisément sur ce qu'il appelle "l'essence du politique". Nous nous demandons plus particulièrement ce que signifie le troisième grand présupposé du politique, à savoir la distinction Ami/Ennemi.
En effet, qu'est-ce qu'une communauté politique, sinon l'affirmation d'un "nous" face à des "autres" ? Cette distinction, si elle est essentielle au politique, constitue-t-elle une dialectique inébranlable, nous condamnant à envisager la politique comme le lieu d'un conflit sempiternel entre les communautés ? Et que vaut cette distinction aujourd'hui dans un contexte international qui prétend unir les hommes au profit d'une paix universelle ?