"Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie !" : Baudelaire conclut ainsi son poème consacré à une prostituée, "Tu mettrais le monde entier dans ta ruelle". Pour le poète et l'homme, la beauté est dans la dualité, elle balance sans cesse entre perversion et transcendance, entre éphémère et infini.
Baudelaire gagne encore aujourd’hui à être redécouvert, tant les images successives et contradictoires du poète - décadent, révolutionnaire, réactionnaire, classique, chrétien, moderne - continuent d'exercer leur effet narcotique.
Né dans une "odeur de vieux" (Jean-Baptiste Baronian), auteur d'une oeuvre "singulièrement mince" (Pierre Pachet), Baudelaire est encore, à l'image du peintre de la vie moderne, ce solitaire qui va, court et cherche la beauté mystérieuse, "si minime, si légère qu’elle soit".
Baudelaire n'a rien d'un flâneur parisien qui s’abandonnerait à la pente de ses rêveries ou de ses obsessions. C’est un rôdeur, un chiffonnier de la ville, que le monde social ne laisse pas en répit. Qu’est-ce qu’être un individu dans une société de masse ? Après avoir épousé la foule, Baudelaire se retire dans ses vers.
C'est un Baudelaire de la "pensée vivante" (Pierre Pachet) qui émerge dans l'extraordinaire souplesse de sa phrase poétique, capable de suivre les ondulations du désir comme de restituer les chocs du temps. Mais ce sens de l'oscillation et de l'aléatoire surgit surtout, comme à l'état brut, dans ses Journaux intimes et Carnets, avec la liste de ses projets irréalisés.
Dans un monde qui va finir, Baudelaire apparaît alors comme l'auteur de "fusées pensantes" (Pierre Pachet), c'est-à-dire d'idées fulgurantes qui ont donné quelques morceaux de bravoure dont le sens résonne encore pleinement aujourd'hui.
Émission "Une vie, une oeuvre", produite par Christine Lecerf et Jean-Claude Loiseau.
I'm the poet disait Bukowski qui publia pas moins d'une quinzaine de recueils, noircit des milliers de pages et ne passa pas un jour sans écrire un poème. Pour en parler, le premier et le dernier de ses traducteurs : Philippe Garnier, qui en 1977 fait découvrir en France le poète Californien en traduisant les Mémoires d'un vieux dégueulasse et le Postier et Romain Monnery, qui se penche aujourd'hui pour les éditions du Diable Vauvert sur ses poèmes inédits ou oubliés dans les pages de revues confidentielles. r américain à la vie aventureuse, paraîtra en octobre aux éditions La Rabbia.
Émission "La Compagnie des poètes", animée par Manou Farine.
Puisque l'époque nous assigne à résidence, prenons la fuite à bord du bateau ivre de la poésie : Arthur Rimbaud.
L’écrivain-voyageur Sylvain Tesson s'attaque au mythe Rimbaud en le sortant de la kermesse biographique et en le dépoussiérant de ses vieux habits de jeune monstre de la poésie : Rimbaud anarchiste, communard, voyou, punk, beatnik, sauvage, avant-gardiste, moderne, trouvère, futuriste... Certes mais surtout Rimbaud, poète.
À ses côté, Sylvain Tesson marche et traverse les paysages réels ou imaginaires suivant le cap tracé par René Char : "Rimbaud poète, cela suffit et cela est infini".
Elles ont brillé, dans les ténèbres du XXe siècle - cette longue nuit de guerres, de totalitarismes, de barbarie où nous errons encore -, de leur désir de vérité et de cette volonté qui consiste à aimer inconditionnellement. Trois femmes, trois voix qui s'entrelacent sans le savoir en une seule flamme dans la nuit où le Verbe se fait silence, dans trois langues vivantes et soeurs, le français, l'italien, l'espagnol. Si différentes dans leur absolue singularité, elles se ressemblent, toutes trois de la lignée d'Antigone, éminente figure du sacrifice, de l'offrande sans concession, de l'amour sans conditions, du "moi" consumé pour accéder à l'être, sans lesquels il n'est pas de révolte authentique.
Dans le temps de vie qui leur fut imparti, brève et fulgurante trajectoire de Simone Weil (1909-1943), morte à trente-quatre ans, longue vie de Maria Zambrano (1904-1991) du début à la fin du siècle, parcours orienté dès la naissance par la maladie pour Cristina Campo (1923-1977) qui ne connut pas la vieillesse, elles ont eu cette capacité si rare de transformer leur vie en destin. Chacune de ces femmes laisse entendre une voix singulière, libérée de la pesanteur, d'une extraordinaire pureté, voix monacale, dépouillée comme le chant grégorien de Simone Weil, voix transparente aux mythes et aux rites de Cristina Campo, voix où bruissent les fleuves de l'exil, charriant les douleurs et les pleurs secrets de Maria Zambrano.
Émission "Le monde de la philosophie", animée par Rémi Soulié.
"De la bière, de la bière, de la bière !" L'ivresse a-t-elle encore quelque chose de poétique chez Bukowski ?
Car Bukowski écrivait comme il s'accoudait au bar : de l'ivresse comme état normal à la plongée dans un fond de sac poubelle, vous prendrez bien un dernier verre en sa compagnie...
Émission "Les Chemins de la philosophie", animée par Adèle Van Reeth.
La vie de l'esprit comporte son lot d'angoisse et de découragement . Mais c'est aussi au délicieux cocon dont les bénéficiaires n'ont généralement pas envie de sortir. Quelques exceptions cependant ont fait date, notamment Simone Veil qui a relaté sa vie d'usine dans la condition ouvrière et, plus près de nous, Robert Linhart avec son récit L'établi.
Et voici que paraissent aujourd'hui deux nouveaux témoignages du franchissement de la frontière entre l'univers des signes et la production des choses. Joseph Ponthus publie A la ligne : feuillets d'usine et Arthur Lochmann La vie solide : la charpente comme éthique du faire.
L'un et l'autre ont décidé à un moment de leur vie de changer d'orientation et de monde. Ils ont sauté le pas. Ils ont délaissé un temps le stylo ou l'ordinateur pour le travail des mains.
Alors, pourquoi ce choix ? Et en quoi leurs expériences ont-elles été différentes ?
Émission "Répliques", animée par Alain Finkielkraut.
Oeuvre longtemps réputée inaccessible, à l'exception de quelques vers d'anthologie, Les Tragiques commencent seulement à être relus, comme l'atteste la fécondité des études critiques depuis quelques années, tant en France que dans les pays anglo-saxons, peut-être plus enclins, par tradition culturelle, à goûter les sombres splendeurs du chef-d'œuvre de la poésie protestante.
Franck Lestringant nous inviste à pénétrer au cœur de la Divine Comédie huguenote qui somme le lecteur, en proie à l'empire de la tragédie, de réagir et de prendre parti.
Émission "Promenade et flâneries au domaine de poésie", animée par Pascal Payen-Appenzeller.
Jack Kerouac est né en 1922 à Lowell, Massachusetts, dans une famille d'origine canadienne-française. Après son premier livre, The Town and the City, qui paraît en 1950, il met au point une technique nouvelle, très spontanée, à laquelle on a donné le nom de "littérature de l'instant" et qui aboutira à la publication d'une première version corrigée et réécrite par son éditeur de Sur la route en 1957.
Il est alors considéré comme le chef de file de la beat generation et publiera, entre autres, Les Souterrains, Les clochards célestes, Le vagabond solitaire, Anges de la désolation et Big Sur. Son écriture est à la littérature ce que le jazz est à la musique : on y reconnaît le rythme, la fougue et la tension de ce qui se voulait être une transcription sans fard et à chaud de la réalité.
Il meurt en 1969, à l'âge de quarante-sept ans.
Émission "Une vie, une oeuvre", produite par Jean Daive et Isabelle Yhuel.