L’ombre des années 30 continue de peser lourdement sur notre perception de la crise actuelle. Pourtant, soutient Marcel Gauchet, la différence saute aux yeux : l’offre idéologique par rapport à la crise que nous vivons est à peu près nulle. Elle se résume en fait à des succédanés d’idéologies du passé dont les adeptes eux-mêmes mesurent bien le caractère peu adéquat par rapport à la situation.
Sous l’effet de l’évolution de nos sociétés depuis la seconde moitié des années septante, le socialisme, tant dans sa branche révolutionnaire ou communiste que réformiste ou sociale-démocrate, est entré dans une profonde crise idéologique indépendante de ses succès comme de ses échecs électoraux, crise dont il faut comprendre les tenants et les aboutissants.
Le noyau de l’idée socialiste reposait sur deux piliers qui se sont écroulés sinon fortement érodés.
En premier lieu, le socialisme a perdu son acteur historique privilégié, le prolétariat, et le facteur de transformation sociale associé à celui-ci, la lutte de classes.
En second lieu, le socialisme a perdu l’assurance d’être au moteur de l’histoire et du changement social du fait de l’échec ou de la perte de confiance dans ses moyens, mais aussi à cause de l’effacement de son but.
Après trente années de consécration de notre foi dans la maîtrise du futur, la crise consécutive au choc pétrolier de 1973 a déjoué les prévisions techniques et fait défaillir les outils de gestion collective et de régulation économique. La rationalité de l’Etat comme le caractère désintéressé de ses agents ont été progressivement remis en doute. L’avenir cessant d’être figurable, la crise des instruments permettant d’en percer le mystère va amorcer le retour des marchés comme technique indépassable de gestion des incertitudes.
Enfin, le caractère souhaitable de la dissociation de l’Etat et de la société civile, l’échec de l’expérience collectiviste soviétique mais aussi le constat que la pénétration de la connaissance dans la gestion collective est plutôt source d’opacité et de dépossession que de transparence et de réunion avec soi vont peu à peu défaire la perspective d’une fin de l’histoire sous le signe de la communion humaine.
Au final, si l’objectif d’une société plus juste et plus démocratique conserve toute sa pertinence, force est de constater qu’il nous faudra pour y atteindre d’autres outils que ceux que l’évolution de nos sociétés a mise en défaut.
Conférence donnée au Collège Européen de Philosophie Politique de l'Education, de la Culture et de la Subjectivité (Ceppecs) dans le cadre du cycle "Qu'est-ce que le socialisme ?"
Qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce qui a passé de Canguilhem à Foucault ? La mise à jour d’une question dont ils ont été les premiers à reconnaître l’urgence : le rôle des normes dans la nature et dans la société. Les normes ne sont pas des lois, des règles d’obligation qui supposent une contrainte extérieure pour être obéies. Elles interviennent à même les comportements, qu’elles orientent de l’intérieur. D’où viennent ces normes ? D’où tirent-elles leur force ? De la vie, explique Canguilhem. De quelque chose qui, pour Foucault, pourrait s’appeler l’histoire. Comment la vie et l’histoire en sont-elles venues à conjoindre en pratique leurs actions respectives ?
Remarque: la qualité de l'enregistrement est médiocre.
La critique du libéralisme, jadis réservée aux partisans du marxisme et aux tenants de la pensée réactionnaire, connaît aujourd'hui un regain nouveau.
Galvanisée par le déclenchement de la crise financière mondiale à l'automne 2008 et la détérioration consécutive des conditions d'existence matérielles et humaines des couches populaires et des classes moyennes, cette pensée critique échoue cependant à s'incarner dans les politiques menées par nos gouvernements, quand elle ne se voit pas confinée au champ stérile du "discours de protestation".
Comment expliquer ce paradoxe ? L'hypothèse que nous formulons est que, loin d'être l'effet d'un déficit de visibilité de la parole contestataire, l'inaudibilité politique des thèses anticapitalistes en France doit d'abord se comprendre comme le résultat d'une redoutable confusion intellectuelle sur l'essence véritable du libéralisme.
L'ambition du travail de Charles Robin est de lever le voile sur les implications et les ambiguïtés de ce grand courant de pensée, au travers notamment de la révélation des liens unissant l'extrême-gauche française avec les idées libérales envisagées comme extension illimitée des droits individuels.
"Super loi", concept unificateur aux pouvoirs explicatifs et prédictifs considérables, l'énergie est un concept scientifique singulier.
Omniprésent dans les débats de sociétés et les médias, le terme d'énergie est tout autant usité dans le langage courant qu'il ne l'est dans des domaines aussi divers que les sciences, l'économie, les arts et les lettres.
Paradoxalement l'énergie reste difficile à définir et les acceptions du terme semblent aussi nombreuses que les domaines d'usages sont variés.
Mais alors qu'est-ce que l'énergie ? Peut-on, selon les domaines abordés, évoquer des savoirs certains, aberrants ou excentriques ? Plus encore, cette cacophonie sémantique est-elle neutre et sans risque ou bien laisse-t-elle la porte ouverte à l'instrumentalisation du concept à des fins plus ou moins avouables ?
Depuis son premier succès médiatique -l’opération "Nouveaux philosophes" en 1977- l’imposture Bernard-Henri Lévy a maintes fois été analysée. De grands philosophes comme Gilles Deleuze ou Jacques Rancière ont très tôt su trouver les mots justes pour dénoncer la profonde "nullité" de la "Pensée-BHL", mais aussi pour comprendre les ressorts du "système" qui rend possible son succès.
Il a cependant fallu attendre ces dernières années pour que des enquêtes sérieuses soient menées sur "l’homme", qui apportent un éclairage utile sur "qui parle" lorsque "Bernard-Henri Lévy" écrit, télédiffuse et éditorialise... Plus précisément, ces enquêtes apportent des éléments de réponse intéressants à un vieux questionnement marxiste : "d’où" parle-t-il, cet "écrivain" qui prétend succéder à Voltaire, Zola et Jean-Paul Sartre dans le rôle du "grand-philosophe-français" ?
Nicolas Beau et Olivier Toscer est sans doute mené la plus accablante de ces enquêtes. À partir d’éléments factuels vérifiables, elle nous dresse un portrait édifiant : l’homme qui, à longueur d’essais, éditoriaux et interviews, ne cesse de dire le bien, le beau et le juste, apparaît comme un véritable tyran du microcosme éditorial, capable d’user de chantages et de menaces pour faire taire tout journaliste critique sur l’une de ses œuvres ; un homme de réseaux qui cumule les "titres", les "fonctions" et les sources de revenus dans le monde journalistique et culturel (auteur, éditorialiste, directeur de collection, membre de "conseils de surveillance", "comités éditoriaux") alors que le chômage et la précarité font de plus en plus de ravages chez les journalistes, les artistes et les intellectuels ; un hommes d’affaires avisé qui gère d’une main de maître le capital faramineux dont il a hérité de son père, et que ni sa "philosophie", ni son "éthique" ni sa conscience politique n’empêchent de mentir sur ses revenus et de frauder le fisc - ou, inversement : un homme qui peut frauder le fisc et continuer malgré cela de faire la leçon à tout le monde (et en premier lieu aux classes populaires quand elles luttent contre la précarité et pour de meilleures conditions d’existence) ; un homme enfin que ni sa "philosophie", ni son "éthique" ni sa conscience politique n’ont empêché de diriger une entreprise (la BECOB) dénoncée par une ONG comme l’une des pires entreprises de déforestation de l’Afrique, traitant ses employés africains comme des "semi-esclaves" - ou inversement : un homme qui peut se comporter ainsi en négrier et continuer malgré tout de faire la leçon à tout le monde.
La religion du marché est partie d'Europe au XVIIIe siècle pour s'étendre sur la planète tout entière. Elle présente cette originalité que chacun contribue au bien collectif en suivant ses intérêts particuliers. Transformant en vertu les faiblesses humaines, le dogme du libéralisme est devenu irrésistible. Le philosophe fait le procès de la toute-puissance du marché dans nos sociétés libérales.
L'importance de la pensée de Feuerbach ne se mesure pas seulement à l'influence (à quoi on l'a trop longtemps réduite) qu'elle a pu exercer sur Marx ou sur Nietzsche, mais à l'actualité bien plus vive qu'elle conserve à travers les travaux d'un Blumenberg, d'un Sartre ou d'un Debord.
Remarque: la qualité de l'enregistrement est médiocre.