Le sentiment de "malaise dans la civilisation" n’est pas nouveau, mais il a retrouvé aujourd’hui en Europe une intensité sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.
La saturation de l’espace public par des discours économiques et identitaires est le symptôme d’une crise dont les causes profondes sont institutionnelles. La Loi, la démocratie, l’État, et tous les cadres juridiques auxquels nous continuons de nous référer, sont bousculés par la résurgence du vieux rêve occidental d’une harmonie fondée sur le calcul.
Réactivé d’abord par le taylorisme et la planification soviétique, ce projet scientiste prend aujourd’hui la forme d’une gouvernance par les nombres, qui se déploie sous l’égide de la "globalisation". La raison du pouvoir n’est plus recherchée dans une instance souveraine transcendant la société, mais dans des normes inhérentes à son bon fonctionnement.
Prospère sur ces bases un nouvel idéal normatif, qui vise la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes. Porté par la révolution numérique, ce nouvel imaginaire institutionnel est celui d’une société où la loi cède la place au programme et la réglementation à la régulation.
Mais dès lors que leur sécurité n’est pas garantie par une loi s’appliquant également à tous, les hommes n’ont plus d’autre issue que de faire allégeance à plus fort qu’eux. Radicalisant l’aspiration à un pouvoir impersonnel, qui caractérisait déjà l’affirmation du règne de la loi, la gouvernance par les nombres donne ainsi paradoxalement le jour à un monde dominé par les liens d’allégeance.
La spécialiste de droit constitutionnel et européen Anne-Marie Le Pourhiet met en lumière les conflits existant entre le droit français et l'ordre juridique européen (principalement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui interprète la Convention européenne des droits de l'homme).
Comment les problèmes sont-ils réglés ? La France braderait-elle trop souvent sa souveraineté juridique en se soumettant au droit européen ?
Une conférence organisée par l'association "Critique de la raison européenne".
"Le titre proposé n’est pas énigmatique. Il signifie qu’il y a un itinéraire possible entre certains traits fondamentaux de la condition humaine et les problèmes éthiques" commence Paul Ricœur dans cette conférence.
Dans un langage simple et didactique, il déroule ici un itinéraire rétrospectif qui relie plusieurs thèmes majeurs de son œuvre, en employant notamment le concept d' "identité narrative" pour comprendre l'horizon de sens des êtres humains.
Et si la densification normative était un processus clé pour saisir le droit se faisant ? Et si elle désignait une tendance majeure de l'évolution des sociétés contemporaines ? A cette échelle, elle pourrait bien être au XXIe siècle et à la société tout entière ce que l'inflation législative fut au XXe siècle pour le droit. Pour en prendre la mesure, la conférence de Catherine Thibierge offre des "marqueurs" précis et transposables à tout type de normes, qu'elles soient juridiques, éthiques, techniques, managériales et de gestion...
La densification normative apparaît comme un processus de montée en puissance de la normativité par lequel les normes prennent forme et force, gagnent en extension, resserrant leur maillage en une toile de plus en plus dense.
Il en ressort l'image contrastée d'un droit hypertrophié et relativisé, concurrencé, dans sa fonction d'orientation et de mesure des conduites et des pratiques, par d'autres normativités elles aussi en pleine densification. Se dessine alors la figure d'une société hypernormée, saturée de normes loin de présenter les garanties des règles de droit, mais capables de s'imposer par la seule force des dispositifs qui les portent.
Les imposteurs n’apparaissent certes pas au 19ème siècle (faux rois, faux papes, mages, prophètes, guérisseurs…), mais le travail de Roland Gori atteste que nous subissons une nouvelle "Grande Transformation" : l’imposture a changé radicalement de nature et d’ampleur.
Nous vivons aujourd’hui un faux-semblant généralisé qui nous contraint à sans cesse "jouer le jeu". L’imposture est devenue forme de gouvernement et d’administration dont Gori analyse ici scrupuleusement les mécanismes.
La rencontre est animée par Éric Hassenteufel et Gérard Engrand.
Pierre Legendre est né le 15 octobre 1930 en Normandie. Attaché à cette origine, il aime à se définir aujourd'hui comme "un homme du passé et de l'avenir". Son parcours est atypique et son oeuvre monumentale. Les livres ont toujours été sa patrie. Il fit ses universités à Paris et à Rennes.
A la fin des années 40, on composait son menu au gré de ses penchants. On avait le choix, dit-il, "de devenir un idiot ou de se construire". Il a choisi la deuxième hypothèse ... C'est ainsi qu'il est devenu un expert de la civilisation du droit civil, de la normativité, un anthropologue intransigeant, un penseur de l'Etat et des institutions... C'est en Afrique au début des années 1960 que l'auteur de "Jouir du pouvoir" (1976) a commencé à s'interroger sur les nouvelles formes d'occidentalisation du monde et s'est mis à l'école de ses "maîtres nègres". C'était au temps où les experts internationaux vendaient du "développement" à tout-va et se targuaient d'émanciper les Africains de leurs coutumes ancestrales, faisant fi des paroles de l'écrivain Hampaté Bâ disant que lorsqu'un vieux meurt en Afrique, c'est une bibliothèque qui brûle.
Depuis ces longues années d'apprentissage Pierre Legendre met à nu ce que remuent le Management et la littérature gestionnaire : le défi, le challenge, l'efficiency. Quoi encore ? Le forçage qui consiste à nouer, à la façon d'une théologie, l'ordre du marché et l'ordre du pouvoir...
Dans le cadre d'une réflexion sur le tournant délibératif de nos institution représentatives, Bernard Manin revient sur les fondements de la délibération politique en expliquant pourquoi il serait préférable de la régler sur le principe du contradictoire, à défaut de l’impartialité.
Conférence prononcée dans le cadre du cycle "Les lundis de la philosophie".
Les souffrances psychiques ne sont pas des maladies. Mais elles peuvent y mener. La condition de l'homme étant tragique, ouverte, risquée, la fragilité de l'homme est inhérente à son être-au-monde. Toutefois, si le malaise est dans l'homme depuis toujours, le monde moderne et hypermoderne lui donne des formes nouvelles.
Les sociétés traditionnelles fonctionnaient sur la base d'un modèle d'intégration sociale, au demeurant inégalitaire, où chacun néanmoins avait sa place, y compris le fou.
Les sociétés modernes ont fonctionné sur le mode du refoulement et de la névrose. La société du travail ne voulait pas connaître les états d'âme, ni même les âmes d'ailleurs. La société hypermoderne combine les exigences du travail et celles de l'autonomie : il faut être productif, il faut être performant, mais aussi "positif". Il faut donner sa force de travail, mais aussi assumer un certain savoir-être, et non simplement apporter son savoir-faire.
La mobilisation de l'homme dans l'hypercapitalisme est donc totale mais elle n'est plus une mobilisation sous une forme guerrière qui était celle du "soldat du travail". C'est une mobilisation pour plus de mobilité, plus de fluidité, plus de liquidité. L'hypercompétitivité et la lutte de tous contre tous tendent à devenir la règle. Le consumérisme et le narcissisme tout comme le désir mimétique en sont les conséquences. Tout ce qui relève des projets à long terme, individuels ou collectifs, en sort évidemment dévalorisé. Cela ne va pas sans de nouvelles formes de malaises intimes, psychiques, qui atteignent l'homme et le reconfigurent.
Pierre Le Vigan nous dresse portrait des psychopathologies de l'homme moderne pour mieux comprendre notre monde.