On a souvent reproché à la catégorie de "capitalisme", telle qu'elle s'est cristallisée au début du XXe siècle sur des bases en partie marxiennes, d'alimenter, du simple fait de sa massivité, un certain réalisme réifiant dans le champ des sciences économiques, sociales et historiques. Si l'on y prend garde, le "capitalisme" peut en effet apparaître comme une force autonome, inhumaine, faisant plier la société sous le poids des contraintes fonctionnelles liées à son dynamisme aveugle : un sujet de l'Histoire qui aurait fait le vide autour de lui et serait en passe de tout absorber. Aux yeux des critiques de la catégorie de capitalisme, il y avait là un risque considérable de simplisme et de dogmatisme.
Pourtant, à une époque où les préoccupations liées au caractère incontrôlé de certaines tendances propres au monde économique, une partie des sources existentielles et historiques de ce scepticisme est en train de se tarir. Car notre univers paraît bel et bien, plus que jamais, peuplé de puissances aliénées, détachées du monde de la vie, mues par un principe d'auto-affirmation insatiable, qui réclament d’accroître encore leur emprise sur les sociétés et la nature. La saine méfiance à l'égard de notions qui ont l'air de vouloir assujettir d'emblée l'enquête à la vision d'une société unidimensionnelle et ultra-déterminée doit donc se réinventer.
Stéphane Haber nous montre qu'il faut, pour ce faire, chercher du côté d'une prise en compte de la phase paradoxale du capitalisme qui est la nôtre : un capitalisme plus protéiforme que par la passé, à la fois moins centré et moins figé, qui ressemble plus à un assemblage de dispositifs aussi souples que variés qu'à un système organique ou à l'émanation transparente d'un principe sous-jacent.
Une intervention dans le cadre des "Lundis de la philosophie".
Lorsqu'en 1846 paraît l'ouvrage de Proudhon, Philosophie de la Misère, Marx réplique en publiant un an plus tard, Misère de la philosophie, montrant toute l'étendue de leurs divergences qui puisent leur origine dans leur vision même de la place de l'homme, de la nature, de la valeur d'un bien, de la division du travail, de l'industrialisation ou de la propriété.
Ainsi, pour Proudhon "Le communisme reproduit donc, mais sur un plan inverse, toutes les contradictions de l'économie politique. Son secret consiste à substituer l'homme collectif à l'individu dans chacune des fonctions sociales, production, échange, consommation, éducation, famille. Et comme cette nouvelle évolution ne concilie et ne résout toujours rien, elle aboutit fatalement, aussi bien que les précédentes, à l'iniquité et à la misère."
À quoi Marx répond "Chaque rapport économique a un bon et un mauvais côté c'est le seul point dans lequel M. Proudhon ne se dément pas. Le bon côté, il le voit exposé par les économistes ; le mauvais côté, il le voit dénoncé par les socialistes. Il emprunte aux économistes la nécessité des rapports éternels ; il emprunte aux socialistes l'illusion de ne voir dans la misère que la misère."
Une émission consacrée à cette confrontation fondamentale pour l'histoire du socialisme et qui présida, dans une large mesure, au destin de la question sociale pour le siècle suivant.
Émission "Pourquoi tant de haine ?", animée par Monsieur K.
"La forme dialectique du développement n'est juste que lorsqu'elle connaît ses déterminations…" Marx, Version première de la Contribution à la critique de l'économie politique
"… Lorsque je me serai débarrassé de mon fardeau économique, j'écrirai une Dialectique. Les lois authentiques de la dialectique sont déjà contenues dans Hegel; sous une forme, il est vrai, mystique. Mais il ne s'agit que de la débarrasser de cette forme…" Marx, lettre à Joseph Dietzgen, Londres, le 9 mai 1868
"Dans son fondement, ma méthode dialectique n'est pas seulement différente de celle de Hegel, elle est son antithèse directe. (…) Chez lui elle est sur la tête. Il convient de la renverser pour dé-couvrir le noyau rationnel sous l'enveloppe mystique…" Marx, Le Capital, Livre I
"Sous son aspect mystique, la dialectique devint une mode en Allemagne, parce qu'elle semblait glorifier les choses existantes. Sous son aspect rationnel, elle est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes, et leurs idéologues doctrinaires, parce que dans la conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l'intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire; parce que saisissant le mouvement même, dont toute forme faite n'est qu'une configuration transitoire, rien ne saurait lui imposer; qu'elle est essentiellement critique et révolutionnaire." Marx, Postface de la seconde édition allemande du Capital
"La question de savoir s'il y a lieu de reconnaître à la pensée humaine une vérité objective n'est pas une question théorique, mais une question pratique. C'est dans la pratique qu'il faut que l'homme prouve la vérité, c'est-à-dire la réalité, et la puissance de sa pensée, dans ce monde et pour notre temps. La discussion sur la réalité ou l'irréalité d'une pensée qui s'isole de la pratique, est purement scolastique." Marx – Thèse II sur Feuerbach
"Ma conscience c’est mon rapport avec ce qui m'entoure. Là où existe cette relation, elle existe pour moi." Marx & Engels – L'idéologie allemande
"La structure sociale et l'État résultent constamment du processus vital d'individus déterminés; mais de ces individus non point tels qu'ils peuvent s'apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d'autrui, mais tels qu'ils sont en réalité, c'est-à-dire, tels qu'ils œuvrent et produisent matériellement; donc tels qu'ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté. Les représentations que se font ces individus sont des idées soit sur leurs rapports avec la nature, soit sur leurs rapports entre eux, soit sur leur propre nature. Il est évident que, dans tous ces cas, ces représentations sont l'expression consciente réelle ou imaginaire de leurs rapports et de leur activité réels, de leur production, de leur commerce, de leur organisation politique et sociale. Il n'est possible d'émettre l'hypothèse inverse que si l'on suppose en dehors de l'esprit des individus réels, conditionnés matériellement, un autre esprit encore, un esprit particulier. Si l'expression consciente des conditions de vie réelles de ces individus est imaginaire, si, dans leurs représentations, ils mettent la réalité la tête en bas, ce phénomène est encore une conséquence de leur mode d'activité matériel borné et des rapports sociaux étriqués qui en résultent." Marx & Engels – L'idéologie allemande
À l'occasion du bicentenaire de la naissance de son auteur, Karl Marx, l'émission "Sortir du capitalisme" nous propose un guide d'entrée dans Le Capital, Livre 1. Ce livre demeure en effet une clé de compréhension fondamentale de notre société, plus d'un siècle et demi après son écriture.
Le rapport d'échange marchand, de travail, d'objets et/ou de services, point de départ du Livre 1 du Capital, est aujourd’hui encore notre forme dominante de socialisation, faite d’exploitation, d'aliénation et de contrainte impersonnelle.
Le penseur marxien Anselm Jappe nous propose une étude des catégories de la domination à la lumière de la critique du fétichisme de la marchandise.
Il revient notamment sur quelques-unes des nombreuses confusions que font les lecteurs pressés de la critique de la valeur, en montrant que le concept de "domination sans sujet" offre un réflexion différente, au-delà du concept sociologiste/subjectiviste de "domination" que l'on retrouve dans l'ensemble de la critique superficielle du capitalisme (où la domination est comprise comme directe, de classe ou fondée dans la propriété privée); et également au-delà des thèses structuralistes ou althussériennes.
La conférence est prononcée dans le cadre du séminaire Sophiapol "Les conceptions contemporaines de la domination".
Le travail de Dany-Robert Dufour résulte d'une sidération. Celle qui l'a saisi lorsqu'il est tombé sur un écrit aujourd'hui oublié, Recherches sur l'origine de la vertu morale de Bernard de Mandeville. C'est en 1714, à l'aube de la première révolution industrielle, que Mandeville, philosophe et médecin, a publié ce libelle sulfureux, en complément de sa fameuse Fable des abeilles. Cet écrit est le logiciel caché du capitalisme car ses idées ont infusé toute la pensée économique libérale moderne, d'Adam Smith à Friedrich Hayek.
Fini l'amour du prochain ! Il faut confier le destin du monde aux "pires d'entre les hommes" (les pervers), ceux qui veulent toujours plus, quels que soient les moyens à employer. Eux seuls sauront faire en sorte que la richesse s'accroisse et ruisselle ensuite sur le reste des hommes. Et c'est là le véritable plan de Dieu dont il résultera un quasi-paradis sur terre.
Pour ce faire, Mandeville a élaboré un art de gouverner - flatter les uns, stigmatiser les autres - qui se révélera bien plus retors et plus efficace que celui de Machiavel, parce que fondé sur l'instauration d'un nouveau régime, la libération des pulsions. On comprend pourquoi Mandeville fut de son vivant surnommé Man Devil (l'homme du Diable) et pourquoi son paradis ressemble à l'enfer.
Trois siècles plus tard, il s'avère qu'aucune autre idée n'a autant transformé le monde. Nous sommes globalement plus riches. A ceci près que le ruissellement aurait tendance à couler à l'envers : les 196 d'individus les plus riches possèdent désormais autant que les 99 % restants. Mais on commence à comprendre le coût de ce pacte faustien : la destruction du monde. Peut-on encore obvier à ce devenir ?