Dans son dernier ouvrage Etre soi-même. Une histoire de la philosophie, Claude Romano a pris le plus ancien poème de la culture occidentale, à savoir l'Odyssée, comme départ de son projet d'une grande épopée au cœur de la philosophie. Il retrace la pensée des premiers philosophes, depuis Aristote, puis Montaigne, Rousseau, jusqu'aux penseurs contemporains que sont Kierkegaard et Heidegger, en gardant toujours à l'esprit l'idée d' "authenticité personnelle".
Émission "L'Heure bleue", animée par Laure Adler.
A l'heure où émotion et consommation sont étroitement liées -des stations du Club Med à la musique d’ambiance diffusée dans nos écouteurs, des guides de psychologie positive à l'industrie des cartes de vœux aux messages de valorisation des sentiments-, Eva Illouz montre comment ces nouvelles marchandises visent à améliorer le moi. Elle invente le terme de "marchandises émotionnelles" et en interroge l'authenticité de l'individu moderne.
C'est également à l'amour comme objet de recherche qu'Eva Illouz se consacre. Elle défend la thèse suivante : l'amour est le noyau central et le vecteur historique de la modernité occidentale. En observant diverses expériences, elle tente d'expliquer pourquoi nos peines de cœurs sont vécues comme des pathologies qu'il nous incombe de soigner.
Émission "L'Heure bleue", animée par Laure Adler.
Par deux fois, à l'issue de chacune des deux guerres mondiales, un sursaut s'est produit dans les consciences. En 1919, en parallèle avec la Société des Nations, est créée à Genève une Organisation Internationale du Travail. Sans justice sociale, affirme-t-elle, pas de paix durable.
L'OIT est la seule institution du système des lendemains de la Première Guerre à avoir survécu à la Deuxième. Exilée outre-Atlantique entre 1940 et 1945, elle publie, dès le printemps 1944, avant même la création de l'ONU, une Déclaration de Philadelphie qui reprend les questions posées à sa création. Qu'est-ce qu'un régime de travail réellement humain ? Et comment peut-il s'établir à travers le monde si telle ou telle nation ne veut pas le prendre en compte ?
A l'époque du travail taylorisé, le périmètre des régulations possibles portait surtout sur le montant des salaires, le temps de travail, les accidents du travail on encore les libertés syndicales. A notre époque, les terrains qui nécessitent intervention sont beaucoup plus mouvants. Après la révolution cybernétique et numérique, la main d'œuvre devient cerveau d'œuvre : on attend que, réagissant aux multiples signaux qui lui sont envoyés, elle atteigne des objectifs chiffrés. Nous sommes au temps de la gouvernance par les nombres. Et aussi du Marché total qui engage les individus dans une compétition sans fin.
Le travailleur en réseau de l'ère numérique n'a souvent d'autre ressource que de se mettre sous la protection du plus fort en s'assurant des services du plus faible. Hommage et servage. Ce n'est pas que nous soyons retournés au Moyen Age mais les structures féodales reviennent en force.
Le droit du travail est plus que jamais nécessaire pour conjurer la puissance mortifère de l'anarcho-capitalisme.
Émission "La Marche de l'histoire", animée par Jean Lebrun.
Il y a deux Paul Valéry : celui des petits classiques illustrés et le sacripant drolatique, l'anar espiègle, le gamin salace aux mauvaises pensées, "l'esprit le plus méphistophélique de notre littérature", sans parler du coureur et du farceur. Oui, cela fait deux en un : le bienséant et le frondeur, l'homme d'institution et l'irréconcilié.
Paul Valéry, ce solaire impénitent, ce grand amoureux des femmes, de la peinture et de la musique, reste un homme du trait, du brillant, de l'éclat, du paradoxe et du charnel. Son oeuvre dessine une rose des vents. L'auteur de l'universel Cimetière marin est aussi "un lanceur d'alerte" sur la fragilité de notre civilisation et de notre société mondialisée.
Paul Valéry, notre contemporain brillant, est un poète à (re)lire de toute urgence par temps de détresse.
En 1825, un homme meurt à Paris. Il avait été comte de Saint-Simon et avait congédié ses titres ; la richesse l'avait quitté, seuls quelques amis l'avaient accompagné dans ses dernières années. Mais il laissait une œuvre scientifique et politique d'une dimension inouïe, semée d'intuitions de génie.
Peu après, en tirant parti du microclimat de liberté né de la révolution de 1830, ses disciples, les saint-simoniens, vont labourer le chaos de ses livres, créer une école de pensée et même une église et faire se lever d'imprévisibles moissons.
Si à nos yeux, il y a une idée-force qui émerge de leur groupe, passablement disparate, c'est la conviction que le monde nouveau sera traversé par la circulation. Les solides compteront moins que les fluides. Le monde sera maillé de réseaux, matériels et immatériels. Michel Chevalier, penseur de premier plan de l'école saint-simonienne, a ainsi conçu dès 1832 un "Système de la Méditerranée" : "Mare nostrum", bordée de golfes féconds est appelée au laboratoire de l'association Orient-Occident. Dès 1834, le Père Enfantin, qui, dans l'église saint-simonienne, fait figure de messie, s'installe pour sa part en Egypte : le projet de canal de Suez lui doit beaucoup.
En matière politique, les saint-simoniens ne croient plus aux pyramides hiérarchiques anciennes. La politique aura dorénavant pour fonction de rendre possibles tous les genres de production car c'est autour de la production que la société se restructurera.
On voit combien ce langage de la circulation et de la production est actuel. Le saint-simonisme, souvent rangé au magasin des bizarreries utopiques attendait à bas bruit le moment "disruptif" où nous sommes pour être enfin réinterprété.
On a entendu récemment Gérard Collomb dire qu'à Lyon, il n'a pas été socialiste mais saint-simonien et Emmanuel Macron candidat à l'Elysée reconnaître une filiation. Mais quand Saint-Simon voulait faire basculer le pouvoir vers la classe industrielle, il plaçait au cœur de celle-ci les travailleurs qui, faisant tout, n'avaient pourtant rien et en venaient à penser que leur travail était inutile. Le saint-simonisme était bien davantage qu'un technocratisme à destination des entrepreneurs...
Émission "La Marche de l'histoire", animée par Jean Lebrun.
Notre conseiller historique, pour cette série d'émission, est Michel Pastoureau. Conseiller historique ? Mieux encore ! Sur le sujet des maîtres-livres du Moyen Age, un maître-es-arts. Un guide sur les routes où les jongleurs nous attendent pour réciter leurs strophes. Un poisson-pilote qui nous fera distinguer les sources des grands textes du lit des fleuves où ils se glissent. Un jongleur qui attirera les voyageurs par ses récits.
Il y aura des batailles si merveilleuses et si puissantes que rien de si fort ne fut avant ni depuis. Mais Michel Pastoureau contera aussi les ruses de Renart qui n'ont pas besoin d'autres armes que celles de l'intelligence. Il y aura des bêtes rêvées et d'autres réelles et encore des animaux au statut indéterminé comme la licorne, à moins que ce ne soit l’unicorne. Il y aura, dans les chansons de geste, des héros tout d'une pièce comme Roland et d'autres, dans les légendes arthuriennes, qui seront plus subtils. Dieu sera avec eux ou aussi bien les laissera crier en vain dans le désert.
Émission "La Marche de l'histoire", animée par Jean Lebrun.
Dans les années 1970 en Italie, un homme, Licio Gelli, a pris la tête d'une loge maçonnique regroupant les personnes les plus influentes du pays. En quelques années, cet homme a quasiment réussi à créer un Etat dans l'Etat. Cette loge P2, pour "Propaganda Due", dépendait du Grand Orient d'Italie, la plus ancienne obédience maçonnique du pays. En 1976, le Grand Orient suspend cette loge P2 qui enfreint les règles de la franc-maçonnerie.
Devenue secrète et donc illégale, la loge P2 a laissé planer son ombre dans de nombreuses affaires qui ont secoué la société italienne des années 70 : la mort de Jean-Paul 1er, la faillite de la Banque Ambrosiano, l'attentat de la gare Bologne ou encore l'assassinat d'Aldo Moro. Dans cette période qu'on qualifie souvent "d'années de plomb", la loge P2 a joué un rôle actif dans la "stratégie de la tension" qui visait à encourager la violence politique, d'extrême-droite et d'extrême-gauche, afin de faire émerger un Etat autoritaire.
Mais l'histoire de cette loge P2, c'est aussi l'histoire d'un homme qui se considérait comme le grand marionnettiste : Licio Gelli. A travers son parcours, nous revisitons une grande partie du XXe siècle. De la guerre d'Espagne à l'émergence de Silvio Berlusconi à la tête de l’Italie, en passant par la guerre froide, Licio Gelli a laissé une empreinte. Une empreinte sulfureuse.
Sur le chemin de cet homme qu'on a surnommé Belphégor, nous croisons Franco, Mussolini, la mafia, la CIA, le Vatican, les banques suisses… Bref, tous les éléments d'une affaire sensible.
Émission "Affaires sensibles", animée par Fabrice Drouelle.
Il n'est pas question ici de traiter de la phénoménologie de Husserl en tant que telle, mais de savoir comment les archives de Husserl sont passées à Louvain, y devenant alors une source importante de la pensée contemporaine.
Car dans ses dernières années, Husserl, d'origine juive, avait été ostracisé. Après sa disparition, ses papiers que conservait sa veuve, contrainte à l'isolement, étaient à la merci des nazis. Or ces papiers, quelque 40'000 feuillets, représentaient une vie de travail. Husserl, homme de peu de publications, y avait jeté ses réflexions qu'il notait en sténo tant elles se bousculaient.
L'été 1938, un franciscain belge, Von Breda, vient proposer à Madame Husserl d'organiser un transfert de ces archives vers l'Université de Louvain. Mais il faut transférer aussi les deux assistants de Husserl, seuls à même de déchiffrer les textes, Madame Husserl elle-même, la bibliothèque et, à tout prendre, les cendres du maître. C'est difficile, dangereux. Hitler a commencé ses attaques contre la Tchécoslovaquie, l'Europe se mobilise, le temps presse.
Mais il est ici question de Von Breda plus que de Husserl. Le franciscain savait d'instinct qu'en la circonstance, il gardait la liberté de soulever le joug. Il la prit. Le joug n'existe que parce que nous tendons le cou.
Quelque chose de la pensée européenne se joua ici.
Émission "La marche de l'histoire", animée par Jean Lebrun.