La société contemporaine apparaît dominée par ce que Marx a appelé le "fétichisme de la marchandise". Mais on y observe aussi une montée du narcissisme au sens de Freud : les individus ne connaissent qu’eux-mêmes et nient la réalité extérieure. Y a-t-il un lien entre ces deux phénomènes ?
En quoi l’inconscient explique-t-il l’omniprésence de formes fétichistes de socialisation tout au long de l’histoire ? Peut-on imaginer un dépassement du "malaise dans la civilisation" en rompant avec le travail, la famille patriarcale et les structures autoritaires, comme le proposait Herbert Marcuse, ou risquet-on de cette manière de remplacer les formes œdipiennes-autoritaires par des formes narcissiques et "liquides" qui ne nous rapprochent pas davantage de l’émancipation ? Vaut-il alors mieux se référer à Christopher Lasch et juger les différentes cultures sur leur capacité d’apporter des solutions "évolutives" – plutôt que "régressives" – à l’angoisse originaire de la séparation et à d’autres données inconscientes ? En quoi cette approche permet-elle de critiquer efficacement de nombreux traits de la société contemporaine "liquide" ? Le sujet narcissique contemporain constitue-t-il une rupture avec le sujet "classique", "fort", "œdipien", ou en est-il plutôt la continuation ? Et quel est le lien entre néo-libéralisme économique et diffusion de comportements narcissiques, en tant qu’exaspération de la mentalité de concurrence ? Faut-il revenir au sujet "autonome", "kantien", et à l’État régulateur ? Est-ce souhaitable ?
Dans ce séminaire, qui fait suite aux cours déjà proférés à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Anselm Jappe approfondira le lien entre la théorie freudienne et la critique du fétichisme de la marchandise. L’arrière-plan théorique est constitué par la "critique de la valeur", un courant international de critique sociale basé sur une relecture original de l’œuvre de Marx. Elle fut élaborée notamment par Robert Kurz en Allemagne et Moishe Postone aux États-Unis.
Méridien Zéro nous propose de revenir sur le drame de Cologne, à savoir les agressions sexuelles et physiques nombreuses commises par des migrants originaires d'Afrique du Nord et du Proche-Orient lors de la nuit de la Saint-Sylvestre de l'année passée.
Pour comprendre les réactions stupéfiantes d'aveuglement des milieux féministes, nous reviendrons sur la généalogie idéologique de ces mouvements à travers la figure de Michel Foucault, icône de la gauche française et européenne.
À la barre et à la technique, Wilsdorf et Jean-Louis Roumégace.
Dans le cadre de l'Université de Printemps de la bibliothèque de Viroflay, Françoise Bonardel s'exprime sur trois sujets différents :
1. Identité
L'identité enferme-t-elle les individus et les peuples dans une image figée d’eux-mêmes, ou est-elle l’expression d’une liberté à laquelle ils ne sauraient renoncer ? Celle d’être soi, parmi d’autres êtres humains tout aussi soucieux de se situer par rapport à leur héritage culturel, leurs aspirations personnelles et les contraintes propres à chaque société.
Aussi faut-il distinguer les crispations identitaires rendant impossible une vie commune, et le désir légitime de s’affirmer dans sa singularité. Loin d’être un obstacle à la reconnaissance d’autrui comme on le pense communément, l’identité remplit un triple rôle : renforcer le rapport naturel que chaque individu entretient avec lui-même, et qui fonde sa responsabilité ; offrir au monde extérieur certains signes de reconnaissance à peu près stables permettant la vie en société ; rendre possible la transmission, de génération en génération, des acquis individuels et collectifs, autant dire de la culture.
2. Culture
Entre culture et identité le lien est en effet très fort, du moins jusqu’à ce que la "culture de masse" s’emploie à dissoudre l’une et l’autre au nom d’un égalitarisme mal compris, et d’une globalisation d’ordre commercial. Si le "droit" à la culture est aujourd’hui un impératif moral et sociétal, encore faut-il savoir quelle sorte de culture va pouvoir assurer la formation des individus tout en développant le lien social.
Si l’on parle depuis quelques décennies de "crise de la culture", en Europe occidentale tout au moins, c’est que ces deux fonctions se trouvent souvent dissociées, quand elles n’entrent pas en conflit au lieu de s’épauler. C’est pourtant à ce double souci –du monde et de soi– que la culture devrait aujourd’hui encore répondre, de manière à associer l’idéal d’excellence qui nous a été transmis par des siècles de grande culture, et le respect des principes démocratiques auxquels les sociétés postmodernes sont attachées.
3. Sagesse
Qu’il s’agisse d’identité ou de culture, la sagesse n’est-elle pas d’abord la recherche d’un équilibre, et la découverte du sens de la mesure qui fait si cruellement défaut aux sociétés postmodernes ?
Au regard de l’idéal de sagesse cultivé par les philosophes grecs, ces sociétés sont en effet la proie d’une démesure menaçant directement leur survie à long terme. Que devrions-nous donc entendre des mises en garde énoncées par les Anciens ?
Si la sagesse est pour une part la disposition d’esprit permettant d’éviter le pire, elle est aussi ce qui offre à chaque vie un horizon moins limité que celui du monde humain. C’est pourquoi l’amour de la sagesse –autant dire la philosophie– donne aussi à l’âme humaine l’audace de s’aventurer dans des territoires où elle est susceptible de découvrir le sens ultime de son destin. N’est-ce pas ce lien, entre sagesse et sens du sacré, que nous aurions besoin de redécouvrir ?
Tout au long de cet entretien, Jean-Vernant nous livre directement de bouche à oreille un peu de cet univers grec auquel il s'est attaché et dont la survie en chacun de nous semble, dans le monde d'aujourd'hui, plus que jamais nécessaire.
Ce dialogue permet à cet héritage de nous parvenir sur le mode de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui passe d'une génération à la suivante en dehors de tout enseignement officiel.
La voix qui autrefois, pendant des siècles, s'adressait directement aux auditeurs grecs, et qui s'est tue, Jean-Pierre Vernant nous la fait entendre à nouveau aujourd'hui.
Qu'elle puisse encore longtemps résonner...
Alors qu'il fut peut-être le plus grand poète du XXe siècle, Ezra Pound est aujourd'hui traité comme un chien crevé. Il eut en effet le tort de se trouver du côté des perdants de l'histoire suite à son soutient au régime fasciste italien.
Que reste-t-il aujourd'hui de son oeuvre ? Qu'est ce que sa vie -mouvementée!- peut encore nous enseigner ?
La sagesse n’est-elle pas une intruse dans le colloque entre Nietzsche, gagné par la folie, et Dionysos, le dieu de l’ivresse panique ?
Ces antipodes de la raison et de la mesure sont si exotiques aux yeux grecs ou chrétiens ! Et pourtant...
Le philosophe et le dieu nous invitent moins à accepter le monde tel qu’il a été, est et sera, qu’à le vouloir infiniment tel.
Les mortels habitent la terre : ceux qui, parmi eux, sont suffisamment forts pour être pénétrés de cette évidence vivent sans haine ni ressentiment le temps qui leur est imparti par les Parques comme une éternité. Ils savent qu’ils sont innocents de ce dont les accusent les clergés religieux ou humanitaires ; ils peuvent donc rire avec les Célestes et "respirer une atmosphère de hauteur" : "La glace est proche, la solitude est énorme ? mais voyez avec quelle tranquillité tout repose dans la lumière ! voyez comme l’on respire librement !" (Ecce Homo).
L’art moderne s’est souvent voué à la laideur. Anatomies difformes, palettes outrées, compositions incongrues, volonté de surprendre et de heurter : qui oserait encore parler de beauté ? Faute de pouvoir en appeler à la raison historique et à la désuétude des canons anciens – des proportions de Vitruve à la perspective d’Alberti -, ne convient-il pas de rechercher ce qui a provoqué ce changement radical dans l’élaboration des formes qu’on appelle "art" ?
S’appuyant sur les matériaux patiemment rassemblés depuis trente ans, Jean Clair propose une lecture anthropologique de l’esthétique moderne qui croise l’histoire de l’art, l’histoire des sciences et l’histoire des idées. Ainsi la seule année 1895 a-t-elle vu, simultanément, la naissance du cinéma. la découverte des rayons X, les applications de la radiotéléphonie (mais aussi la croyance en des rayonnements invisibles chez les tenants de l’occultisme), les premiers pas de la psychanalyse, l’essor de la neurologie : la sensibilité en est bouleversée, mais d’abord la façon qu’a l’artiste de se représenter le monde visible et singulièrement le corps humain.
Paradigmes et paramètres, les modèles ont changé. L’art devient l’expérimentation du monstrueux et crée de nouvelles entités parmi lesquelles Jean Clair distingue trois figures directrices : le mannequin des neurologues, descendant des alchimistes et de Goethe, le Géant des dictatures, "l’Ogre philanthropique" dont Le Colosse de Goya est le prototype, l’Acéphale enfin, le nouveau dieu des avant-gardes célébré par Georges Bataille.
Emission "Licences politiques".