Comment comprendre la modernité ? En vivons-nous l'accomplissement logique ? L'essoufflement ?
La trajectoire de l'humanité est complexe, irrémédiablement liée à son environnement et en grande partie confondue avec l'histoire de ses techniques.
À l'heure d'Internet, de l'individualisme et du discrédit de la classe politique, il semble urgent de se poser ces questions pour que notre avenir commun soit réinventé.
Depuis plusieurs années, et après avoir soutenu dans son premier manifeste que le modèle industriel capitaliste et consumériste était voué à s’effondrer à brève échéance, Ars Industrialis organise des rencontres sur les grandes questions contemporaines posées par l’économie, la technologie et leur crise commune, tout en soutenant que le temps est venu de penser un autre modèle industriel, au service d’une économie de la contribution.
Celle-ci est caractérisée par le fait qu’elle se déploie à la fois comme activité d’échanges économiques et comme activité de constitution de savoirs à travers des processus de transindividuation spécifiques. La reconstitution des savoirs – qui est rendue possible par les spécificités de la technologie numérique – engage un mouvement de déprolétarisation au sens où on peut l’observer dans les pratiques du logiciel libre, fondées sur une production et un partage de savoirs.
C’est pour débattre de son livre, Le prix, ainsi que de ses analyses sur la crise économique dans Le capitalisme à l’agonie, et sur ce qu’il appelle la "guerre civile numérique", que Paul Jorion est reçu et échange avec Bernard Stiegler, Franck Cormerais et Arnauld de l’Épine.
Notre époque se caractérise comme prise de contrôle de la production symbolique par la technologie industrielle, où l’esthétique est devenue l’arme et le théâtre de la guerre économique. Il en résulte une misère où le conditionnement se substitue à l’expérience esthétique.
"Cette misère est une honte" rajoute Stiegler. Le processus pour échapper au contrôle du sensible et au conditionnement des esprits - l’an-esthésie qui conduit à la misère symbolique - serait de rendre sa place à "l’expérience esthétique", voie d’émergence de la singularité sensible, indispensable à la constitution de l’être social.
C’est en analysant le circuit de cette expérience et les niveaux de la sensibilité, tout en prenant en considération le "tournant machinique de la sensibilité", que Bernard Stiegler s’essaie à repenser l’esthétique, et ébauche les concepts d’organologie générale et de généalogie du sensible.
Pour une "nouvelle pensée de l’industrie à partir de l’expérience sensible", qui formerait une ultramodernité artistique et culturelle. Et pour l’établissement d’une société dans laquelle production symbolique et vie de l’esprit viendraient au coeur de la vie industrielle.
Où qu'il aille, dans le cadre de ses fonctions internationales, Jean Ziegler est frappé par l'hostilité de principe que les peuples du Sud manifestent vis-à-vis de l'Occident, rendant parfois impossible l'adoption de certaines mesures d'urgence en faveur des plus démunis.
Dans ces conditions, mettre fin à cette situation devient une question de vie ou de mort pour des millions d'hommes, de femmes et d'enfants à la surface du globe.
Comment contraindre le nouvel ordre du capitalisme mondialisé à cesser de soumettre le reste du monde à sa domination meurtrière, et renouer le dialogue avec les victimes ?
Du Nigeria à la Bolivie, des salles de conférences internationales aux villages les plus déshérités, le parcours de Jean Ziegler lui permet d'apporter des réponses à ces questions, sur le mode vibrant et engagé qui lui est propre.
L’économie a sinon inventé un nouveau rapport à l’avenir, elle lui a donné une ampleur inédite. Sous certaines conditions qui font intervenir le politique, mieux, qui font véritablement de l’économie une économie politique, l’économie "ouvre" l’avenir, au sens que les hommes s’engagent sur son chemin avec confiance et détermination. Or c’est ce rapport qui est en crise aujourd’hui. De là que l’économie est hantée par le spectre de sa fin possible.
Il faut d’abord comprendre le type de rationalité que l’économie incarne et pourquoi, aujourd’hui déréglé, il confine à la folie. Le capitalisme fonctionne en se projetant vers un avenir qu’il doit imaginer sans borne - d’où la sacralisation de la croissance - et en se laissant tracter par lui. C’est ce qu’on appelle un "bootstrap", en référence aux exploits du baron de Münchhausen qui savait, dit-on, s’extirper d’un marais en tirant sur les lanières de ses bottes, ou bien, une autotranscendance. Or la question que posent les critiques du capitalisme commence à faire son chemin dans l’esprit des principaux acteurs de l’économie : quel sens cela a-t-il de vouloir toujours croître ?
Et d’abord, est-ce seulement matériellement possible ? Un capitalisme qui commence à imaginer qu’il pourrait mourir est, en un sens, déjà mort. La croissance, que l’on a d’abord désirée parce qu’elle devait apporter le bonheur, puis garantir l’emploi, est devenue indispensable pour éponger nos dettes par rapport aux générations futures. La crise actuelle est avant tout une crise du rapport à l’avenir.
Les techniques promettent abondance et bonheur ; elles définissent la condition humaine d’aujourd’hui. Pourquoi les contester, et à quoi bon ? Les discours technocritiques ne masquent-ils pas des peurs irrationnelles, un conservatisme suranné, voire un propos réactionnaire ?
Pourtant, depuis que les sociétés humaines sont entrées dans la spirale de l’industrialisation, des individus et des groupes très divers ont dénoncé les techniques de leur temps et agi pour en enrayer les effets.
L’introduction de machines censées alléger le travail, les macrosystèmes techniques censés émanciper des contraintes de la nature, la multitude des produits technoscientifiques censés apporter confort et bien-être, ont souvent été contestés et passés au crible de la critique.
Contre l’immense condescendance de la postérité, il s’agira d’explorer ces discours et luttes foisonnantes et multiformes pour mieux comprendre comment s’est imposé le grand récit chargé de donner sens à la multitude des objets et artefacts qui saturent nos existences.
Francis Cousin, bien connu pour ses prises de position radicales contre la dictature du fétichisme de la marchandise, répond à nouveau à une série de questions.
Du problème de l'éduction au sein des communautés de l'être jusqu'à l'imposture de l'écologie en passant par l'aliénation du sport, c'est dans une logique révolutionnaire et sans compromission qu'il aborde ces thématiques.