La modernité avait prétendu faire de l'homme un dieu, indépendant de toute transcendance à laquelle il aurait à rendre des comptes.
De manière apparemment concurrente, nous assistons depuis quelques décennies à l'émergence d'une nouvelle tendance, selon laquelle l'homme ne détiendrait aucune primauté sur le reste des vivants.
À ces deux idéologies qui la prennent en étau, quelle réponse l'anthropologie chrétienne, socle fondateur de notre civilisation, apporte-t-elle ?
D'où vient ce sentiment diffus, de plus en plus oppressant et de mieux en mieux partagé, d'un retard généralisé, lui-même renforcé par l'injonction permanente à s'adapter au rythme des mutations d'un monde complexe ? Comment expliquer cette colonisation progressive du champ économique, social et politique par le lexique biologique de l'évolution ?
La généalogie de cet impératif nous conduit dans les années 1930 aux sources d'une pensée politique, puissante et structurée, qui propose un récit très articulé sur le retard de l'espèce humaine par rapport à son environnement et sur son avenir.
Elle a reçu le nom de "néolibéralisme" : néo car, contrairement à l'ancien qui comptait sur la libre régulation du marché pour stabiliser l'ordre des choses, le nouveau en appelle aux artifices de l'Etat (droit, éducation, protection sociale) afin de transformer l'espèce humaine et construire ainsi artificiellement le marché : une biopolitique en quelque sorte.
Il ne fait aucun doute pour Walter Lippmann, théoricien américain de ce nouveau libéralisme, que les masses sont rivées à la stabilité de l'état social (la stase, en termes biologiques), face aux flux qui les bousculent. Seul un gouvernement d'experts peut tracer la voie de l'évolution des sociétés engoncées dans le conservatisme des statuts.
Lippmann se heurte alors à John Dewey, grande figure du pragmatisme américain, qui, à partir d'un même constat, appelle à mobiliser l'intelligence collective des publics, à multiplier les initiatives démocratiques, à inventer par le bas l'avenir collectif.
Un débat sur une autre interprétation possible du sens de la vie et de ses évolutions au coeur duquel nous sommes plus que jamais.
Les droits de l'homme ? Après la Seconde Guerre mondiale, ils apparaissaient comme une promesse universelle de paix et de justice. Aujourd'hui, ils sont devenus un champ de bataille idéologique, le terrain sur lequel se confrontent les civilisations en lutte.
Car les droits de l'homme sont d'abord le reflet de notre conception de l'homme. Or, celle-ci a beaucoup changé depuis la rédaction de la Déclaration universelle, en 1948.
Alors que cette déclaration d'après-guerre s'inspirait encore des droits naturels, l'affirmation de l'individualisme a généré de nouveaux droits antinaturels, conduisant aujourd'hui à l'émergence de droits transnaturels qui promettent le pouvoir de transformer la nature.
À l'oeuvre au coeur de cette transformation : la réduction de la dignité humaine à la seule volonté individuelle, au mépris du corps. Au-delà, les droits de l'homme accompagnent discrètement le transhumanisme, oeuvrant au dépassement de la démocratie représentative.
Le divorce entre les sciences de la nature et les sciences de la culture n'a cessé depuis un siècle de s'aggraver. Or l'inquiétude suscitée par les risques environnementaux ou biotechnologies montre assez que la compréhension de tels phénomènes n'est pas du seul ressort de la génétique ou de la climatologie et qu'elle exige une réflexion plus ample sur les usages et les représentations contrastés de la nature, à la fois milieu de vie pour les humains et substrat biologique de leur identité.
C'est le projet que nous propose le professeur au Collège de France Philippe Descola, l'anthropologue français le plus étudié et le plus commenté dans le monde depuis la publication de son ouvrage Par-delà nature et culture, paru en 2005, dans lequel il expose les différentes manières d'agencer les continuités et discontinuités entre l'homme et son environnement.
Les lieux communs ont la vie dure. Ainsi cette idée d'un Moyen Age dualiste, qui aurait instauré une guerre entre le corps et l'âme : d'un côté, un corps coupable, source du péché, de l'autre, une âme pure tournée vers Dieu.
Réfutant cette construction, Jérôme Baschet montre plus subtilement que le Moyen Age chrétien a développé une pensée positive du lien entre l'âme et le corps, soucieuse de valoriser l'unité psychosomatique de la personne.
Ce modèle a permis de penser non seulement l'être humain mais aussi l'ordre social dont l'Eglise est alors l'institution dominante.
Jérôme Baschet dépasse les limites habituelles du Moyen Age en prolongeant l'analyse jusqu'au moment où, avec Descartes et Locke, s'impose une conception radicalement nouvelle de la personne, identifiée à la conscience, qui ne doit son activité à rien d'autre qu'à elle-même.
En montrant enfin les différentes perceptions de la personne dans d'autres cultures - de la Chine impériale aux sociétés amérindiennes en passant par l'Afrique ou la Nouvelle-Guinée - Jérôme Baschet nous offre un voyage comparatiste indispensable pour évaluer la singularité des conceptions occidentales de l'humain et mettre à distance l'idée moderne du moi.
Émission "La Fabrique de l'Histoire", animée par Emmanuel Laurentin.
Une société libérale est une société où dominent la primauté de l'individu isolé, l'idéologie du progrès, l'idéologie des droits de l'homme, l'obsession de la croissance, la place disproportionnée des valeurs marchandes, l'assujettissement de l'imaginaire symbolique à l'axiomatique de l'intérêt. Le libéralisme a acquis en outre une portée mondiale depuis que la mondialisation a institué le capital en tant que réel sujet historique de la modernité. Il est à l'origine de cette mondialisation, qui n'est jamais que la transformation de la planète en un immense marché. Il inspire ce qu'on appelle aujourd'hui la "pensée unique" libérale-libertaire. Et bien entendu, comme toute idéologie dominante, il est aussi l'idéologie de la classe dominante.
Le libéralisme est une doctrine philosophique, économique et politique, et c'est comme tel qu'il doit être étudié et jugé. Le vieux clivage droite-gauche est à cet égard de peu d'utilité, puisque la gauche morale, oubliant le socialisme, s'est ralliée à la société de marché, tandis qu'une certaine droite conservatrice ne parvient toujours pas à comprendre que le capitalisme libéral détruit systématiquement tout ce qu'elle veut conserver.
Alain de Benoist nous propose d'aller à l'essentiel, au coeur de l'idéologie libérale, à partir d'une analyse critique de ses fondements, c'est-à-dire d'une anthropologie essentiellement fondée sur l'individualisme et sur l'économisme - celle de l'Homo oeconomicus.
La famille est une institution fragile dont le droit a en quelque sorte la garde. Cela tient à ce qu'il intervient traditionnellement, avec le testament et avec le partage, en matière successorale, et, avec le contrat de mariage, en matière matrimoniale. Or, mariage et succession sont comme les clefs de la famille. Ce n'est pas que les questions de filiation, de nom et de bien de famille, de tutelle, d'obligation alimentaire, de secours ou de devoirs envers les parents (vivants et morts) soient négligeables : elles participent de la même institution ; mais elles découlent toutes, en définitive, du mariage et de la succession.
Aujourd'hui plus personne ne peut ignorer que l'institution de la famille fasse l'objet des attentions les plus contradictoires. Maître Damien Viguier fait avec nous la généalogie de cette crise de la famille en remontant, par l'histoire, aux sources anthropologiques de l'institution familiale, cellule de base de la société.
À l'heure où les démocraties illibérales rencontrent un succès croissant, Alain de Benoist décortique une idéologie déclinante -le libéralisme-, mais toujours hégémonique.
A. Le libéralisme : une erreur anthropologique ?
1. Définition du libéralisme
2. Une même racine, une même école, le primat de l'individu
3. La religion des droits de l'homme et du progrès
4. La société première dans l'histoire, non l'individu
5. Comment retrouver les anciennes solidarités ou en inventer de nouvelles ?
6. Un couple maudit : l'Etat-providence et la souveraineté absolue de l'individu
7. C'est l'Etat moderne qui invente les marchés pour des raisons fiscales
8. La folie anthropologique du contrat social
9. Le politique l'emporte sur l'économique et non l'inverse
10. Les droits subjectifs en question
11. Le citoyen peut-il se sacrifier pour la patrie ?
12. Le juste ou le bien ?
B. L'efficacité du marché de l'ordre des moyens, non des fins
1. Le paradigme de l'homo oeconomicus
2. Equilibre, ordre spontané, concurrence pure et parfaite
3. De plus en plus de demande non solvable
4. Pierre Manent et le refus du libéralisme d'examiner les fins sous l'angle du bien (problème de l'intérêt général)
5. Pourquoi les sociétés libérales ont-elles du mal à légiférer sur la bioéthique ?
6. Evocation de Péguy et Bernanos, ce qui est né par l'argent périra par l'argent !
7. Société de marché ou société du marché.
8. L'emballement capitaliste de l'argent : illimitation du capitalisme, hybris, démesure…
9. Suis-je ce que j'ai ou ai-je ce que je suis ?
10. Le néocapitalisme financier, dévalorisation de la valeur et absence de soubassement réel à la monnaie, le QE et la financiarisation de l'économie
11. Une banque de la transition écologique ?
C. Libéralisme et démocratie
1. Crise de la représentation
2. La démocratie parlementaire représentative dite libérale, deux réalités disjointes désormais
3. Quand le peuple n'est souverain que le jour des élections
4. Lisbonne, Brexit les exemples se multiplient
5. Un homme une voix différent de un citoyen une voix
6. Le Conseil Constitutionnel et la Cour Européenne des DDH contre les peuples
7. Les démocraties illibérales à l'est de l'Europe
8. Le libéralisme est impolitique par nature (Carl Schmitt)
9. Macron : droite et gauche dépassées par le libéralisme
10. Ecrasement des partis de gouvernement
11. Un monde s'efface, les Gilets Jaunes comme manifestation de l'épuisement de la démocratie libérale
12. Un point de rupture significatif, progressistes contre populistes
13. Effacement des modes de légitimation du libéralisme (consommation, emploi etc.)
14. La davocratie (Michel Geoffroy) : la super classe mondiale contre les peuples
15. Retour du localisme, des nouvelles sociabilités illustrées par les Gilets Jaunes sur les ronds-points
16. Conservateurs et libéraux désormais en voie de séparation
17. Les Gilets Jaunes, une répétition générale
Émission "Politique & Eco", animée par Olivier Pichon et Pierre Bergerault.