Idée reçue : la crise environnementale actuelle serait le fruit d'une longue inconscience. On ignorait, en gros, le mal que l'on faisait. Idée fausse, selon le chercheur Jean-Baptiste Fressoz : il s'agit là d'une illusion d'optique ou d'une amnésie.
Historien des techniques et de l'environnement, Jean-Baptiste Fressoz nous restitue l'histoire politique de la crise écologique en reconstituant le jeu des forces sociales qui ont fait basculer notre planète dans une nouvelle ère géologique, l'anthropocène, terme désignant une nouvelle époque géologique marquée par l'impact massif des activités humaines sur la planète.
Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Le peu de visibilité médiatique de Serge Latouche et Jean-Baptiste Fressoz n'a d'égal que la pertinence de leurs travaux pour répondre aux grandes questions de notre époque : le dérèglement climatique, l'épuisement des ressources, la frustration et l'assèchement grandissants que nourrit notre système de société. Le premier est l’auteur de L'Âge des limites ou Petit traité de la décroissance, tandis que le second est co-auteur de L'Evénement Anthropocène et auteur de L'Apocalypse joyeuse.
Loin d'un fatalisme désabusé face aux défis vertigineux qui se présentent à nous, nous pouvons nous appuyer sur leurs constats lucides pour transformer notre société et, surtout, vivre mieux.
Une rencontre organisée par le journal "La Gazelle".
Les plus récents rapports sur l'avenir du travail nous indiquent que nous pourrions perdre jusqu'à 50% des emplois dans les dix à quinze prochaines années. L'automatisation intégrée est le principal résultat de ce que l'on appelle "l'économie des data". Organisant des boucles de rétroactions à la vitesse de la lumière entre consommation, marketing, production, logistique et distribution, la réticulation généralisée conduit à une régression drastique de l'emploi dans tous les secteurs – de l'avocat au chauffeur routier, du médecin au manutentionnaire – et dans tous les pays.
Pourtant, ces informations ne nous poussent pas à agir. Pourquoi le gouvernement n'ouvre-t-il pas un débat sur l'avenir de la France et de l'Europe dans ce nouveau contexte ?
L'automatisation intégrale et généralisée fut anticipée de longue date – notamment par Karl Marx en 1857, par John Maynard Keynes en 1930, par Norbert Wiener et Georges Friedmann en 1950, et par Georges Elgozy en 1967. Tous ces penseurs y voyaient la nécessité d'un changement macro-économique, politique et culturel radical.
Le temps de ce changement est venu, et le philosophe Bernard Stiegler se consacre à en analyser les fondements, à en décrire les enjeux et à préconiser des mesures à la hauteur d'une situation exceptionnelle à tous égards – où il se pourrait que commence véritablement le temps du travail.
Relations internationales, médias, guerre économique, Gilets Jaunes, changement climatique : nous visons une crise sans précédent qui nous oblige à agir. Reste donc à construire, inventer, bifurquer, bref, à produire de la raison face au délire d'un monde condamné.
Pour évoquer ces enjeux, nous retrouvons le philosophe Bernard Stiegler, ancien directeur général adjoint de l'INA et fondateur du collectif Ars industrialis, formé dans les rangs du Parti Communiste et tombé pour braquage à la fin des années 1970, qui s'impose aujourd'hui comme l'un des penseurs majeurs de la technique.
Une oeuvre exigeante à ambition anthropologique, sur laquelle nous pouvons nous appuyer afin de comprendre les temps qui sont les nôtres et "panser" le monde.
Il n'y aurait plus sur cette Terre que les humains, leurs productions et leurs déchets. Et si rien de vierge ou de sauvage ne demeure qu'il faille préserver, le temps est venu de prendre pour de bon les commandes d'un système-terre produisant des biens et délivrant des services au bénéfice exclusif de l'humanité.
À rebours de ces appels à la gestion globale du monde, l'ambition de cette conférence est de réhabiliter l'idée d'une nature sauvage caractérisée par son extériorité, son altérité et son autonomie.
Reconnaître l'extériorité de la nature, c'est accepter que nous ne sommes pas les créateurs de ce monde que nous partageons avec l'ensemble des vivants. Reconnaître l'altérité de la nature, c'est admettre l'hétérogénéité radicale qui existe entre les affaires humaines et le monde sauvage. Enfin, reconnaître l'autonomie des entités naturelles, c'est penser la façon dont les vivants non-humains constituent leur monde tout comme nous constituons le nôtre et se donner les moyens de respecter et de valoriser ces mondes multiples.
Cette conférence est une invitation à reconsidérer cette nature indocile et récalcitrante qui peuple notre imagination, nos paysages, cette altérité qui finalement participe à notre liberté.
Le divorce entre les sciences de la nature et les sciences de la culture n'a cessé depuis un siècle de s'aggraver. Or l'inquiétude suscitée par les risques environnementaux ou biotechnologies montre assez que la compréhension de tels phénomènes n'est pas du seul ressort de la génétique ou de la climatologie et qu'elle exige une réflexion plus ample sur les usages et les représentations contrastés de la nature, à la fois milieu de vie pour les humains et substrat biologique de leur identité.
C'est le projet que nous propose le professeur au Collège de France Philippe Descola, l'anthropologue français le plus étudié et le plus commenté dans le monde depuis la publication de son ouvrage Par-delà nature et culture, paru en 2005, dans lequel il expose les différentes manières d'agencer les continuités et discontinuités entre l'homme et son environnement.
Si tout le monde a en tête la courbe croissante des émissions de CO2 depuis deux siècles, on n'en a curieusement pas d'histoire. Quels sont les grands processus historiques qu'il faut prioritairement mettre en relation avec cette courbe ? Quels sont les institutions, les pouvoirs, les imaginaires et les intérêts qui nous ont véritablement placés sur le chemin de l’abîme climatique ?
La recherche de Jean-Baptiste Fressoz porte sur les racines sociales, économiques et politiques des problèmes écologiques auxquels nous devons faire face aujourd’hui. "Il s'agit de déplacer notre regard de l'analyse scientifique des milieux naturels atteints, vers les acteurs, les institutions et les décisions qui ont produit ces atteintes." Cela signifie que les atteintes portées au système Terre par l'être humain, ce que l'on nomme aujourd'hui Anthropocène, sont le résultat de choix et non pas d'une quelconque fatalité pour comprendre la situation actuelle et rendre possible de nouvelles trajectoires pour le futur.
Une conférence qui s'inscrit dans le programme du week-end "Make it work".
La grande conférence internationale sur le climat, dite "COP21", qui s'est tenue à Paris en décembre 2015, a réuni 196 États. Elle visait au premier chef à obtenir un accord universel et, si possible, juridiquement contraignant sur les émissions de gaz à effet de serre, avec le but de maintenir le réchauffement climatique au XIXe siècle en dessous de deux degrés Celsius. Or il se trouve qu'à lire beaucoup des articles qui nous arrivèrent en déferlante à cette occasion, l'historien ne peut qu'être sensible à une certaine myopie rétrospective de bien des commentateurs.
Beaucoup paraissaient croire en effet que l'angoisse que suscite, fort légitimement, l'emprise délétère des humains sur la planète serait toute récente, exprimée et portée par l'écologie politique contemporaine. Rien n'est plus faux en réalité et cette émission va s'attacher à le démontrer.
Jean-Baptiste Fressoz, historien et chercheur au CNRS, nous a fourni de précieux travaux sur la prise de conscience, progressive ou à éclipses, depuis le XIXe siècle, des risques multiples engendrés par les progrès de la science et par la révolution industrielle. Risques concernant directement la santé des hommes et des femmes dans la longue durée mais aussi, déjà, le changement climatique engendré, pour la première fois dans l'Histoire de la Terre, par les comportements débridés de l’industrie humaine, par ses élans, par son énergie et par ses aveuglements.
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.