La Révolution n'a pas été la réalisation d'un seul projet, incarné par un seul groupe, mais la rencontre de projets réformateurs et utopiques concurrents, dans un pays fragmenté par de fortes identités régionales, religieuses et politiques. Cette conférence invite à une nouvelle lecture des années 1770 à 1802 autour de quatre grands moments qui ont donné à la France cette histoire à la fois chaotique et exceptionnelle.
La révolution par le haut, initiée par Louis XV et maladroitement reprise par Louis XVI, échoue sur le coup de force magistral de 1789. S'ouvre alors cette "révolution-régénération" attendue par la quasi-totalité des français, dernière des révolutions du monde atlantique. La véritable révolution commence en 1792, conduite par des hommes qui inventent de nouvelles règles de vie. La violence, qui échappe au contrôle de l'Etat, permet la victoire nationale mais ruine l'unité du pays. Après l'élimination de Robespierre, la stabilisation recherchée par des groupes rivaux réussit à souder la nation mais bute sur des révolutions de palais jusqu'à confier l'Etat à un général charismatique.
C'est en rendant compte de cette complexité que Jean-Clément Martin nous montre comment la France et au-delà le monde entrent dans la modernité.
Le professeur Yves Caron, né dans la Somme entre les deux Grandes Guerres, est originaire d'un lieu façonné par sa géographie et son histoire. Durement touchée par le conflit franco-prussien de 1870 d’abord, par la Première Guerre mondiale ensuite, sa terre natale est parsemée de nécropoles, cimetières de la jeunesse européenne qu’il ne peut évoquer sans émotion. Ses recherches et sa carrière l’ont ensuite mené aux quatre coins de la France et ailleurs, mais c’est elle qui décida de sa vie et de son engagement.
Enfant balloté par la guerre, il ne va que très peu à l’école. Muni du seul brevet élémentaire, qui à l’époque donnait capacité d’enseignement, il devient instituteur, puis reprend en autodidacte ses études, passe son bac, obtient plusieurs licences, et soutient finalement une thèse de doctorat en histoire. Polyglotte, grand lecteur, Yves Caron a amassé une impressionnante quantité d’informations, puisées à différentes sources, qui l’ont mené à une certitude qu’un impérieux besoin de justice a transformée en combat : la réhabilitation de ceux qu’il appelle "nos cousins germains". Qui sont les véritables responsables du déclenchement des trois guerres qui nous ont opposés à eux ? La guerre de 14, "d’où vient tout le mal", était-elle évitable ? Quels en étaient réellement les enjeux ? Après avoir brossé le tableau des relations internationales d’alors, en particulier entre les grandes puissances de l’époque – France, Allemagne, Grande-Bretagne et Russie –, le professeur Caron nous rappelle que le terrain de leurs rivalités était en réalité bien plus grand que celui de la seule Europe. C’est en Afrique et dans la péninsule arabique que les plus importantes luttes impérialistes se jouaient. C’est là que se nouèrent pendant la Première Guerre mondiale, sur la dépouille de l’Empire ottoman, les drames qui sont la cause, aujourd’hui encore, des innombrables conflits qui émaillent la région. Déclaration Balfour, Traité de Versailles, cette guerre s’acheva en semant les graines de la suivante.
De même que deux générations de Français avaient été élevés dans la haine de leurs voisins avant la première Grande Guerre, on prépara les esprits pour la Seconde. La propagande américaine disposait pour cela d’une formidable machine : Hollywood. Une fois de plus, on attisa les foules pour les faire consentir au sacrifice suprême. Mais ceux qui ont vécu là, ceux qui ont vu, lorsqu’on les laisse parler, racontent parfois une tout autre histoire. Chercheur de vérité, le professeur a quitté ses livres et est allé dans les villages questionner ceux que l’on a fait taire ; criant dans le désert, résistant à sa manière, il veut faire entendre leurs voix devenues muettes.
Indigné par tous les silences de l’histoire – cette mythologie des vainqueurs – le professeur Caron nous rappelle aussi le martyre des Allemands. Ceux de la Volga d’abord, communauté piégée au sein de l’Union soviétique, considérée comme ennemie et déportée en août 41 en Sibérie. Mais le centre de ses intérêts, tellement tabou qu’il ne put trouver un professeur prêt à l’accepter comme sujet pour sa thèse de doctorat, concerne le calvaire des Allemands de Prusse orientale, Poméranie et Silésie, victimes de ce qu’il considère comme l’un des plus grands génocides de l’histoire. Le nettoyage ethnique de ces terres, planifié lors de la conférence de Yalta en janvier 45, fut mis en œuvre par l’Armée rouge. Beaucoup furent massacrés, les plus chanceux réussirent à fuir vers l’ouest, les autres furent déportés, les femmes violées, les maison pillées. Cette épuration, qui visait à vider ces régions de ses habitants pour les offrir aux Polonais, aux Russes et aux Tchèques, fut entérinée par les accords de Potsdam en 46. Seize millions d’Allemands en furent victimes. Seize millions, dont trois millions périrent et dont plus personne ne parle aujourd’hui.
Oubliés, comme ont été oubliées les victimes allemandes des troupes françaises et américaines après la Libération. Oubliés, comme ont été oubliées les victimes françaises de l’épuration. Ce sont tous ces oubliés, morts une seconde fois de ne pas exister dans nos mémoires, qui donnent à ce professeur si attachant la force de témoigner encore de ce qu’il a vu, de ce qu’il a entendu, de ce qu’il a compris. Entouré de ses 30'000 livres, vibrant à l’évocation de ses souvenirs, érudit et tellement sincère dans ses indignations comme dans ses attendrissements, le professeur Caron est lui-même un livre vivant, que nous avons l'honneur d'écouter.
L'affaire Pétain n'a pas finit d'agiter les consciences des uns et des autres, et le rôle définitif que le Maréchal français a joué pendant la Seconde Guerre mondiale reste à définir.
Qui se souvient qu'il fut l'initiateur de la création de l'armée d'Afrique qui deviendra ensuite -pour partie- l'armée française engagée à la libération ?
Adrien Abauzit, en défenseur de la mémoire de Pétain, rappelle son rôle ainsi que celui de Weygand ou Darlan et tente, au travers des nombreuses informations délivrées, une réhabilitation historique en bonne et due forme !
Depuis les élans du Romantisme jusqu'au renouveau de la littérature dialectale, en passant par les grandes fêtes du Millénaire de 1911, ils furent nombreux les poètes normands qui célébrèrent les Vikings et ces "drakkars" qu'il conviendrait, à en croire les savants, de renommer snekkars ou esnèques.
De leurs vers, écrits dans le style d'une époque littéraire aux reflets d'incendies, devait naître ce que l'on a appelé "le mythe nordique", c'est-à-dire non pas une fantasmagorie, mais la prise de conscience d'une réalité identitaire, originale entre toutes.
Jean Mabire nous conte la naissance de ce mythe recent et dresse le portrait de plusieurs des écrivains qui y ont contribué. On peut entendre, au loin, le fracas des épées, le tumulte des vagues, l'appel des Walkyries et ce chant profond venu du Nord sur "la route des cygnes".
Les paroles du dieu Odin rassemblent-elles encore le peuple vivant sur cette terre normande, dont le premier duc Rolf le Marcheur, dit Rollon, avait affirmé à ses compagnons scandinaves, Norvégiens et Danois : "Nous en resterons maîtres et seigneurs" ?
Bâti sur les décombres de l'Europe napoléonienne, réformé en 1867 pour donner un rôle accru à la Hongrie, l'Empire austro-hongrois pouvait sembler, en 1914, l'une des puissances les plus solides du continent. C'était un empire à l'ancienne, c'est-à-dire qu'il avait l'ambition de fédérer de nombreux peuples hétérogènes. Dans les faits, une majorité d'Allemands et de Hongrois régissaient les destinées de Slaves (Tchèques, Polonais, Slovènes, Croates, etc.) de Roumains et d'Italiens - lesquels cohabitaient d'ailleurs plutôt mal entre eux.
C'est à la suite de l'assassinat de son prince héritier François-Ferdinand que le vieil empereur François-Joseph s'est laissé entraîner dans la guerre, aux côtés de l'Allemagne. Déchiré entre des nationalités différentes, des religions antagonistes, véritable tour de Babel linguistique, l'empire n'a pas supporté le choc. Cinq ans après Sarajevo, ce sont cinq pays nouveaux, fondés sur le principe des nationalités, qui remplacèrent la Double Monarchie. En Autriche même, devenue un État croupion, le jeune empereur Charles Ier (qui avait succédé à François-Joseph en 1916) dut renoncer.
Jean-Paul Bled retrace avec minutie l'agonie d'une monarchie qui n'a pas su s'adapter aux temps nouveaux en dépit des atouts non négligeables qu'elle détenait.
Impossible de comprendre aujourd’hui les logiques de guerre qui déchirent le Proche et le Moyen-Orient sans faire un sort, au préalable, à la thèse débilitante du "choc des civilisations" et aux slogans de la lutte contre le "terrorisme transnational islamiste".
C’est à cette tâche que s’attelle Georges Corm en analysant d’abord les mécanismes qui ont permis, depuis les années 90, de paralyser les oppositions aux guerres injustes, en dénonçant ensuite sans relâche l’instrumentalisation de prétendues valeurs politico-religieuses tout comme la relation perverse entre les intérêts géo-politiques de certains Etats et leur prétention à défendre dans l’ordre international des idéaux religieux.
En récusant enfin, du côté des pays "occidentaux", l’application scandaleusement sélective du droit international aux situations conflictuelles.
L’accent est ainsi mis non seulement sur la possibilité d’une lecture profane des conflits mais sur la nécessité d’une conception résolument universaliste de la laïcité.
Une conférence conduite par Alain Lhomme et Gérard Engrand.
On emploie souvent le mot de "crise" pour décrire notre temps. Pourrait-on aller jusqu'à parler de "déclin" ou de "décadence" ?
En traçant quelques parallèles avec notre histoire nationale (Guerre de Cent Ans, Guerres de religion) et en s'appuyant sur une enquête menée auprès de plusieurs intellectuels de qualité (Marcel Gauchet, Jean-Paul Bled, etc), les invités de l'émission s'emploient à qualifier correctement les temps qui sont les nôtres.
L'aube n'est-elle jamais si proche qu'au plus noir de la nuit ?